Tartuffe, ou l'imposteur
Molière
伪君子
莫里哀
ACTE III
SCÈNE VII.- Orgon, Tartuffe.
ORGON.
Offenser de la sorte une sainte personne !
TARTUFFE.
O Ciel, pardonne-lui la douleur qu'il me donne !
(A Orgon.)
Si vous pouviez savoir avec quel déplaisir
Je vois qu'envers mon frère on tâche à me noircir...
ORGON.
Hélas !
TARTUFFE.
Le seul penser de cette ingratitude
Fait souffrir à mon âme un supplice si rude...
L'horreur que j'en conçois... J'ai le coeur si serré,
Que je ne puis parler, et crois que j'en mourrai.
ORGON.
(Il court tout en larmes à la porte par où il a chassé son fils.)
Coquin ! je me repens que ma main t'ai fait grâce,
Et ne t'ait pas d'abord assommé sur la place.
Remettez-vous, mon frère, et ne vous fâchez pas.
TARTUFFE.
Rompons, rompons le cours de ces fâcheux débats.
Je regarde céans quels grands troubles j'apporte,
Et crois qu'il est besoin, mon frère, que j'en sorte.
ORGON.
Comment ? vous moquez-vous ?
TARTUFFE.
On m'y hait, et je voi
Qu'on cherche à vous donner des soupçons de ma foi.
ORGON.
Qu'importe ? Voyez-vous que mon coeur les écoute ?
TARTUFFE.
On ne manquera pas de poursuivre, sans doute ;
Et ces mêmes rapports qu'ici vous rejetez
Peut-être une autre fois seront-ils écoutés.
ORGON.
Non, mon frère, jamais.
TARTUFFE.
Ah ! mon frère, une femme
Aisément d'un mari peut bien surprendre l'âme.
ORGON.
Non, non.
TARTUFFE.
Laissez-moi vite, en m'éloignant d'ici,
Leur ôter tout sujet de m'attaquer ainsi.
ORGON.
Non, vous demeurerez : il y va de ma vie.
TARTUFFE.
Hé bien ! il faudra donc que je me mortifie.
Pourtant, si vous vouliez...
ORGON.
Ah !
TARTUFFE.
Soit : n'en parlons plus.
Mais je sais comme il faut en user là-dessus.
L'honneur est délicat, et l'amitié m'engage
A prévenir les bruits et les sujets d'ombrage.
Je fuirai votre épouse, et vous ne me verrez...
ORGON.
Non, en dépit de tous vous la fréquenterez.
Faire enrager le monde est ma plus grande joie,
Et je veux qu'avec elle à toute heure on vous voie.
Ce n'est pas tout encor : pour les mieux braver tous,
Je ne veux point avoir d'autre héritier que vous,
Et je vais de ce pas, en fort bonne manière,
Vous faire de mon bien donation entière.
Un bon et franc ami, que pour gendre je prends,
M'est bien plus cher que fils, que femme, et que parents.
N'accepterez-vous pas ce que je vous propose ?
TARTUFFE.
La volonté du Ciel soit faite en toute chose.
ORGON.
Le pauvre homme ! Allons vite en dresser un écrit,
Et que puisse l'envie en crever de dépit !