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CHAPTER XLIV
日期:2020-10-13 11:19  点击:440
 L'étonnement de Coriolis était naïf. Cette vive et presque unanime sympathie de la critique pour Garnotelle s'expliquait naturellement.
 
Garnotelle était l'homme derrière le talent duquel la critique de ces critiques qui ne sont que des littérateurs pouvait satisfaire sa haine d'instinct contre le morceau peint, contre le bout de toile ou le panneau de couleur éclatante, contre la page de soleil et de vie rappelant quelque grand coloriste ancien, sans avoir l'excuse de la signature de son grand nom. Il était soutenu, poussé, acclamé par tout ce qu'il y a d'imperception et d'hostilité inavouée, dans les purs phraseurs d'esthétique, pour l'harmonie de pourpre du Titien, le courant de pâte d'un Rubens, le gâchis d'un Rembrandt, la touche carrée d'un Velasquez, le tripotage de génie de la couleur, le travail de la main des chefs-d'œuvre. Le peintre satisfaisait le goût de ces doctrines, aimées de la France, sympathiques à son tempérament, qui mènent l'admiration de l'estime publique et des gens distingués à une certaine manière de peindre unie, sage, lisse, blaireautée, sans pâte, sans touche, à une peinture impersonnelle et inanimée, terne et polie, reflétant la vie dans un miroir dont le tain serait malade, fixant et desséchant le trait qui joue et trempe dans la lumière de la nature, arrêtant le visage humain avec des lignes graphiques rigides comme le tracé d'une épure, réduisant le coloris de la chair aux teintes mortes d'un vieux daguerréotype colorié, dans le temps, pour dix francs.
 
Garnotelle servait de drapeau et de ralliement à la critique purement lettrée, et au public qui juge un peintre avec des théories, des idées, des systèmes, un certain idéal fait de lectures et de mauvais souvenirs de quelques lignes anciennes, l'estime d'une certaine propreté délicate, une compétence bornée à un mépris acquis et convenu pour les tons roses de Dubuffe. L'école sérieuse, puissante et considérée, descendue des professeurs et des hommes d'État critiques d'art, l'école doctrinaire et philosophique du Beau, l'armée d'écrivains penseurs qui n'ont jamais vu un tableau même en le regardant, qui n'ont jamais goûté devant un ton cette jouissance poignante, cette sensation absolue que Chevreul dit aussi forte pour l'œil que les sensations des saveurs agréables pour le palais; ces juges d'art qui n'apprécient jamais l'art par cette impression spontanée, la sensation, mais par la réflexion, par une opération de cerveau, par une application et un jugement d'idées; tous ces théoriciens ennemis de la couleur par rancune, affectant pour elle le mépris, répétant que cela, cette chose divine que rien n'apprend, la couleur, peut s'apprendre en huit jours, que la peinture doit être simplement en dessin lavé à l'huile; que la pensée, l'élévation de l'Idée doivent faire et réaliser cette chose plastique et d'une chimie si matérielle: la Peinture,—tels étaient les gens, les théories, les sympathies, les courants d'opinion qui constituaient le grand parti de Garnotelle.
 
De là le succès des portraits de Garnotelle. Leur absence de vie, leur décoration passait pour du style; leur platitude était saluée comme une idéalisation. On voulait trouver dans leur air de papier peint je ne sais quoi d'humble, de modeste, de religieux, l'agenouillement d'une peinture, pâle d'émotion, aux pieds de Raphaël. Il y avait une entente pour ne pas voir toute la misère de ce dessin mesquin, tiraillé entre la nature et l'exemple, timide et appliqué, cherchant aux personnages de basses enjolivures bêtes; car Garnotelle ne savait pas même tirer de ses modèles la forte matérialité trapue, l'épaisse grandeur de la Bourgeoisie: il arrangeait les bourgeois qu'il peignait en portiers songeurs, travaillait à les poétiser, tâchait de mettre une lueur de rêverie dans un ancien député du juste-milieu et d'alanguir un ventru avec de l'élégance. Il maniérait le commun, et jetait ainsi sur la grosse race positive, dont il était le peintre presque mystique, le plus divertissant des ridicules.
 
Mais les portraits les plus applaudis de Garnotelle étaient ses portraits de femmes: minutieuses et laborieuses copies de traits et de plis de robes, images patientes de dames sérieuses et roides, dans des intérieurs maigres. Réunis, ils auraient fait douter de la grâce, de l'animation, de l'esprit qu'a toute la personne de la Parisienne du XIXe siècle. C'étaient des mains étalées gauchement sur les genoux avec les doigts forcés comme des pincettes, des physionomies ayant un air de calme dormant et de placidité figée, auquel s'ajoutait une sorte de mortification morne, provenant des longues et nombreuses séances exigées par le consciencieux portraitiste. Il semblait y avoir un travail pénible, très-mal éclairé, un travail de prison, dans ce douloureux dessin, dans ces ostéologies s'enlevant sur des fonds olive, dans ces femmes décolletées qu'on eût dit posées par le peintre sous un jour de souffrance. Vaguement, devant ces portraits, l'idée vous venait de bourgeoises en pénitence dans les Limbes. Ce que Garnotelle leur mettait pour pensée et pour ombre sur le front avait l'air d'une préoccupation de ménage, d'un souci d'addition, ou plutôt de ces réflexions de femme qui marchande une chose trop chère. Malgré tout, c'étaient les portraits à la mode. Les femmes, en dépit de toute la coquetterie qu'elles ont d'elles-même et de cette immortalité de leur beauté, les femmes s'étaient laissé persuader que cette façon rigoureuse de les peindre avait de la sévérité et de la noblesse. Ce qu'elles perdaient avec Garnotelle en jeunesse et en piquant, elles pensaient qu'il le leur rendait en autorité de grâce et en transfiguration sérieuse. Et parmi les plus élégantes, les plus riches et les plus jolies, les portraits de ce peintre, à propos duquel elles avaient entendu nommer si souvent Raphaël, devenaient un objet de jalousie, d'envie, une exigence imposée à la bourse du mari.

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