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CHAPTER XLVII
日期:2020-10-13 11:20  点击:432
 L'hiver de Paris a des jours gris, d'un gris morne, infini, désespéré. Le gris remplit le ciel, baset plat, sans une lueur, sans une trouée de bleu. Une tristesse grise flotte dans l'air. Ce qu'il y a de jour est comme le cadavre du jour. Une froide lumière, qu'on dirait filtrée à travers de vieux rideaux de tulle, met sa clarté jaune et sale sur les choses et les formes indécises. Les couleurs s'endorment comme dans l'ombre du passé et le voile du fané. Dans l'atelier, un mélancolique effacement ôte le rayon à la toile, promène entre les grands murs, une sorte d'ennui glacé, polaire, glisse du plâtre qui perd ses lignes à la palette qui perd ses tons, et finit par remplacer, dans la main du peintre, les pinceaux par la pipe.
 
Ces jours-là, on voyait à Vermillon des attitudes paresseuses, engourdies, inquiètes et souffrantes. Travaillé par le malaise de ce vilain temps, ayant comme le froid de la neige au fond de lui, il se postait près du poêle, et passait des demi-heures, immobile, en équilibre sur son derrière, et se chauffant ses deux pattes dans ses deux mains. Toute son attention paraissait concentrée sur le rouge du poêle. La demi-heure passée, il tournait sa tête sur son épaule, regardait de côté, avec méfiance, cette plaque de faux jour blanchissant dans le cadre de la baie, se grattait le dessous d'une cuisse, poussait un petit cri, regardait encore un peu le ciel, et ne le reconnaissant pas, il paraissait y chercher une seconde le souvenir de quelque chose de disparu. Puis il revenait à la chaleur du poêle, et s'enfonçait dans une espèce de nostalgie profonde et de méditation concentrée, avec un air confondu, cette espèce de peur de voir le soleil mort, qu'ont observée les naturalistes chez les singes en hiver.
 
Tout à côté, Anatole faisait comme le singe, se chauffait les pieds, en se pelotonnant près du poêle, se regardait fumer, entre deux cigarettes essayait de taquiner la plante du pied de Vermillon. Mais Vermillon, grave et préoccupé, repoussait ses agaceries.
 
Pour Coriolis, après quelques essais de travail lâche, quelque coups de brosse, il prenait dans une crédence une poignée d'albums aux couvertures bariolées, gaufrées, pointillées ou piquées d'or, brochées d'un fil de soie, et jetant cela par terre, s'étendant dessus, couché sur le ventre, dressé sur les deux coudes, les deux mains dans les cheveux, il regardait, en feuilletant, ces pages pareilles à des palettes d'ivoire chargées des couleurs de l'Orient, tachées et diaprées, étincelantes de pourpre, d'outremer, de vert d'émeraude. Et un jour de pays féerique, un jour sans ombre et qui n'était que lumière, se levait pour lui de ces albums de dessins japonais. Son regard entrait dans la profondeur de ces firmaments paille, baignant d'un fluide d'or la silhouette des êtres et des campagnes; il se perdait dans cet azur où se noyaient les floraisons roses des arbres, dans cet émail bleu sertissant les fleurs de neige des pêchers et des amandiers, dans ces grands couchers de soleil cramoisis et d'où partent les rayons d'une roue de sang, dans la splendeur de ces astres écornés par le vol des grues voyageuses. L'hiver, le gris du jour, le pauvre ciel frissonnant de Paris, il les fuyait et les oubliait au bord de ces mers limpides comme le ciel, balançant des danses sur des radeaux de buveurs de thé; il les oubliait dans ces champs aux rochers de lapis, dans ce verdoiement de plantes aux pieds mouillés, près de ces bambous, de ces haies efflorescentes qui font un mur avec de grands bouquets. Devant lui, se déroulait ce pays des maisons rouges, aux murs de paravent, aux chambres peintes, à l'art de nature si naïf et si vif, aux intérieurs miroitants, éclaboussés, amusés de tous les reflets que font les vernis des bois, l'émail des porcelaines, les ors des laques, le fauve luisant des bronzes tonkin. Et tout à coup, dans ce qu'il regardait, une page fleurissante semblait un herbier du mois de mai, une poignée du printemps, toute fraîche arrachée, aquarellée dans le bourgeonnement et la jeune tendresse de sa couleur. C'étaient des zigzags de branches, ou bien des gouttes de couleur pleurant en larmes sur le papier, ou des pluies de caractères jouant et descendant comme des essaims d'insectes dans l'arc-en-ciel du dessin nué. Çà et là, des rivages montraient des plages éblouissantes de blancheur et fourmillantes de crabes; une porte jaune, un treillage de bambou, des palissades de clochettes bleues laissaient deviner le jardin d'une maison de thé; des caprices de paysages jetaient des temples dans le ciel, au bout du piton d'un volcan sacré; toutes les fantaisies de la terre, de la végétation, de l'architecture, de la roche déchiraient l'horizon de leur pittoresque. Du fond des bonzeries partaient et s'évasaient des rayons, des éclairs, des gloires jaunes palpitantes de vols d'abeilles. Et des divinités apparaissaient, la tête nimbée de la branche d'un saule, et le corps évanoui dans la tombée des rameaux.
 
Coriolis feuilletait toujours: et devant lui passaient des femmes, les unes dévidant de la soie cerise, les autres peignant des éventails; des femmes buvant à petites gorgées dans des tasses de laque rouge; des femmes interrogeant des baquets magiques; des femmes glissant en barques sur des fleuves, nonchalamment penchées sur la poésie et la fugitivité de l'eau. Elles avaient des robes éblouissantes et douces, dont les couleurs semblaient mourir en bas, des robes glauques à écailles, où flottait comme l'ombre d'un monstre noyé, des robes brodées de pivoines et de griffons, des robes de plumes, de soie, de fleurs et d'oiseaux, des robes étranges, qui s'ouvraient et s'étalaient au dos, en ailes de papillon, tournoyaient en remous de vague autour des pieds, plaquaient au corps, ou bien s'en envolaient en l'habillant de la chimérique fantaisie d'un dessin héraldique. Des antennes d'écaille piquées dans les cheveux, ces femmes montraient leur visage pâle aux paupières fardées, leurs yeux relevés au coin comme un sourire; et accoudées sur des balcons, le menton sur le revers de la main, muettes, rêveuses, de la rêverie sournoise d'un Debureau dans une pantomime, elles semblaient ronger leur vie, en mordillant un bout de leur vêtement.
 
Et d'autres albums faisaient voir à Coriolis une volière pleine de bouquets, des oiseaux d'or becquetant des fruits de carmin,—quand tombait, dans ces visions du Japon, la lumière de la réalité, le soleil des hivers de Paris, la lampe qu'on apportait dans l'atelier.

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