Vingt ans et voir Paris! Fuir la province aimée,
Cette vieille nourrice au front doux et songeur,
Voir derrière ses pas la porte refermée,
Sentir sécher l'adieu sur sa lèvre embaumée,
Et s'en aller où va tout enfant voyageur!
C'est le destin fatal.—Là-basest la merveille,
Dit une voit trompeuse à qui l'on tend l'oreille.
Lucien connut Paris; et, comme la plupart,
Il se laissa gagner par de vaines chimères
Qui, la rose aux cheveux et la flamme au regard,
S'en vinrent le chercher, un matin qu'à l'écart
Le souvenir faisait ses heures plus amères.
Il ne posa d'abord qu'un pied indifférent
Dans ce monde joyeux, qui le trouva de glace;
Mais bientôt,—je ne sais quel charme l'attirant—
Il entra tout entier et demanda sa place.
Et ce fut de ce jour qu'à des épines d'or
Il déchira son cœur et perdit la sagesse;
Et qu'à ce sol étroit attachant son essor,
Il ne s'occupa plus qu'à vieillir sa jeunesse.
Il connut de ce temps la sottise et les mœurs,
Dépouilla désormais ses anciennes humeurs,
Les femmes de toujours, les folles Cydalises,
Dont les jours ne sont rien qu'un vif enivrement,
Salamandres d'amour, de toute flamme éprises,
Passèrent près de lui dans leur essaim charmant.
Elles ne mettent plus, ainsi que les marquises,
Ces mouches sur le teint qui faisaient l'œil moqueur,
Les mouches d'à présent se portent sur le cœur.
Ce furent celles-là, Lucien, qui te perdirent,
Lorsque à ton cou d'enfant elles se suspendirent,
Et que de tes trésors de tendresse amassés
Elle t'eurent tout pris, sans t'avoir dit: Assez!
Si bien qu'à la vendange où l'attendait Nicette,
Quand s'en revint Lucien, espéré si longtemps,
Il n'était plus le même,—ô surprise inquiète!—
Il avait vu Paris, il n'avait plus vingt ans.