Dans tous les environs la vendange était faite.
Du bourg de Valeyrac, ce soir, c'était la fête;
Les vendangeurs partaient, on fêtait leur départ,
Adieu paniers:—dansons et chantons sans retard!
On arrivait déjà d'une lieue à la ronde.
Les hommes avaient mis leur belle veste ronde,
Les femmes avaient mis leur plus rouge jupon;
Et, gravement pimpants et la mine essoufflée,
Ils couraient, car déjà derrière la vallée
On entendait le bruit rauque d'un violon.
Je ne vous dirai pas,—à la façon flamande,—
L'enseigne de l'auberge et la folle guirlande
Que l'on avait ce soir appendue au brandon;
Je ne vous dirai pas les rondes, les quadrilles,
Les buveurs accoudés et les joueurs de quilles:
Je ne vous ferai pas le tour du rigaudon.
Ah! parlez-moi plutôt des temps mythologiques
Où le ciel se peuplait de héros et de dieux,
Où le monde passait dans des splendeurs magiques,
Où l'Olympe entr'ouvrait son cycle radieux!—
C'était sur quelque mont solitaire et sauvage,
A l'heure où le soleil déserte le rivage;
On voyait accourir, partis dès le matin,
Les bergers empressés de maint vallon lointain.
Sous l'odorant fardeau des roses d'Idalie
La façade du temple était ensevelie;
Un satyre cornu sculpté sur le fronton,
Aux lèvres un hautbois, riait sous le feston;
Et les nymphes, autour du satyre pressées,
Ployaient sous les raisins leurs têtes renversées.
Est-ce une vision, poëte, où sommes-nous?
Ardente, l'œil pourpré, la bacchanale antique
Se dresse devant moi sous le sacré portique.
Voici le sanctuaire et le peuple à genoux!
Evohé! Evohé! quel feu divin m'embrase!
Je sens bouillir mon front sous l'éclair qui le rase,
Dans le fond de mon cœur je sens gronder ma voix:
Le voile de mes yeux se déchire et je vois!
En marche! promenez devant nous les corbeilles,
Que le son des tambours disperse les abeilles,
Et que l'oiseau qui vient picorer le pépin
S'enfuie au vent bruyant de nos branches de pin!
Mêlons à nos cheveux de douces violettes;
Musiciens, prenez votre casque d'aigrettes,
Et d'une voix unie au mode lydien
Dites-nous les exploits de Bacchus l'Indien!
Allez, versez le miel de la muse lyrique;
Ceignons nos ceinturons et dansons la pyrrhique.
Venez, les Égipans, les Faunes des jardins,
Les Satyres barbus avec vos peaux de daims;
Venez, les chèvres-pieds; accourez, les Bacchides;
Ajustez vos bandeaux, rattachez vos chlamydes;—
Et dansons! ébranlons sous nos pieds la forêt!
Comme déjà le sol tournoie et disparaît!
L'arbre semble alourdi comme un autre Silène;
Brandissons nos roseaux, dansons à perdre haleine;
De notre cercle immense ardent à fendre l'air
Embrassons la forêt dans nos anneaux de chair!
Tout fuit autour de nous, mon front vibre et ruisselle,
Dansons!—Hécate luit sur les pâles marais,
Le vent du soir se lève impétueux et frais;
Je vois, je vois là-bas le temple qui chancelle.
Dansons!—Et vous Cinthie, Euphrosine, Aglaé,
Versez-nous à pleins flots vos brûlantes rasades,
Notre patère est vide; encore, mes thyades!
Et buvons et dansons!—Evohé! Evohé!…