Cependant, je m’apercevais dans l’administration de mon ménage que
bien des ressources me faisaient défaut. Par exemple, je n’avais pas de
chandelle, et il m’était bien incommode de m’en passer car j’étais obligé
d’aller au lit dès qu’il faisait nuit. L’unique remède que je pus trouver à cela
fut de conserver la graisse des boucs que je tuais. En même temps, je fis
sécher au soleil un plat de terre que je m’étais façonné et, prenant du fil de
caret pour me servir de mèche, je trouvai le moyen de me faire une lampe.
Au milieu de tous mes travaux il m’arriva un jour, en fouillant dans
mes meubles, de trouver le sac qui avait contenu des grains pour nourrir la
volaille emportée sur le vaisseau ; ce qu’il renfermait encore de blé avait
été rongé par les rats, il me semblait qu’il ne restait que des écorces et de
la poussière. Comme j’avais besoin de ce sac pour un autre usage, j’allai le
vider et en secouer les restes au pied du rocher, à côté de mes fortifications.
Cela arriva un peu avant les grandes pluies et, j’avais tout à fait oublié la
chose, lorsque, environ un mois plus tard, j’aperçus, par-ci, par-là, quelques
tiges qui sortaient de terre et que je pris d’abord pour des plantes inconnues.
Mais, quelque temps après, je fus tout étonné de voir dix ou douze épis qui
avaient poussé et qui étaient d’une orge verte parfaitement bonne et de la
même espèce que celle d’Europe. Je ne manquai pas de moissonner ces épis
dans la saison convenable qui était la fin du mois de juin, serrant jusqu’au
moindre grain. Je résolus de tout semer, dans l’espérance qu’avec le temps
j’en aurais assez pour faire mon pain, et pourtant quatre ans se passèrent
avant que je pusse en goûter. Mais je reparlerai de cela en temps voulu et je
vais reprendre mon récit à la date où je l’ai laissé, qui est le 7 avril 1660.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe