XI
Aventures de Robinson Crusoé
Robinson potier et boulanger
Le lecteur aurait pitié de moi, ou plutôt il rirait, si je lui disais de combien
de manières bizarres je m’y pris pour essayer de mener à bien mon travail
de potier ; combien de mes ouvrages furent étranges et difformes ; combien
tombèrent en morceaux parce que l’argile n’était pas assez ferme pour
soutenir son propre poids ; combien se fêlèrent à la trop grande ardeur du
soleil ; combien se brisèrent en les changeant de place. Bref, quand je me
fus donné un mal inouï pour trouver la terre, l’arracher, l’apprêter, la mettre
en œuvre, je ne pus pas faire plus de deux vases que, je n’oserais appeler
jarres et qui me coûtèrent pourtant près de deux mois d’efforts.
Néanmoins, comme ces deux vases s’étaient bien cuits et durcis au soleil,
je les soulevai adroitement et les mis dans deux grands paniers d’osier que
j’avais faits exprès pour les empêcher de se casser. Comme il y avait du
vide entre le pot et le panier, je le remplis tout à fait avec de la paille de
riz et d’orge, comptant que ces deux pots se tiendraient toujours secs et me
serviraient à conserver mon grain d’abord, ma farine ensuite.
Si je n’avais pas été très heureux dans ma fabrication des grands vases,
je fus assez content du succès que me donnèrent les petits, comme des pots
ronds, des plats, des cruches, des terrines. L’argile prenait sous ma main
toutes sortes de figures et elle recevait du soleil une dureté surprenante.
Cependant, tout cela ne répondait pas à un autre de mes désirs qui était
d’avoir un pot de terre capable de contenir des choses liquides et de supporter
le feu. Mais au bout de quelque temps, il arriva qu’ayant fait un bon feu pour
rôtir mes viandes, je trouvai, en fourgonnant dans le foyer, un morceau de
ma vaisselle de terre qui était cuit, dur comme une pierre et rouge comme
une tuile.
Ce fut une joyeuse surprise et je me dis qu’assurément mes pots
pourraient très bien cuire entiers puisque les morceaux en cuisaient si
parfaitement.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe