【法语版】L'île au trésor 金银岛 III (5)
III La marque noire (5)
J’ai dit que le Capitaine était faible. Le fait est qu’il semblait plutôt perdre
ses forces que les regagner. Il se traînait dans l’escalier, allait et venait du
parloir à la salle commune, mettait le nez dehors pour flairer l’odeur de
mer, puis rentrait en s’appuyant aux murs pour ne pas tomber et s’arrêtant à
chaque pas pour reprendre haleine. Il ne me parlait pas plus qu’aux autres, et
j’ai toujours pensé qu’il avait perdu le souvenir de sa confidence. Mais son
caractère était plus bizarre et plus violent que jamais. Il avait pris l’habitude
alarmante de tirer son coutelas, quand il était ivre, et de le placer sur la
table à côté de lui. Cependant il s’occupait beaucoup moins des allants et
venants que par le passé, s’absorbait dans des rêveries sans fin, et au total
ne paraissait pas avoir toute sa tête.
C’est ainsi qu’un soir nous l’entendîmes, à notre grande surprise,
fredonner un air qu’il n’avait jamais chanté, une sorte de ritournelle
pastorale, datant peut-être des jours de sa jeunesse et de l’époque où il ne
connaissait pas encore la mer.
Les choses allèrent ainsi jusqu’au lendemain des funérailles de mon père.
Ce jour-là, vers trois heures, par un temps de brouillard et de gelée, je me
trouvais sur le seuil de l’auberge, plein de tristes pensées sur cette perte
cruelle, quand j’aperçus un homme qui s’avançait assez lentement sur la
route. C’était évidemment un aveugle, car, à chaque pas, il tapait devant
lui avec son bâton, sans compter qu’il avait sur les yeux une gigantesque
visière verte. Il allait tout courbé par l’âge ou la maladie, sous un grand
manteau à capuchon, très vieux et déchiré qui le faisait encore plus difforme.
Je n’ai jamais vu de physionomie aussi effrayante que cette face sans regard.
III La marque noire (5)
J’ai dit que le Capitaine était faible. Le fait est qu’il semblait plutôt perdre
ses forces que les regagner. Il se traînait dans l’escalier, allait et venait du
parloir à la salle commune, mettait le nez dehors pour flairer l’odeur de
mer, puis rentrait en s’appuyant aux murs pour ne pas tomber et s’arrêtant à
chaque pas pour reprendre haleine. Il ne me parlait pas plus qu’aux autres, et
j’ai toujours pensé qu’il avait perdu le souvenir de sa confidence. Mais son
caractère était plus bizarre et plus violent que jamais. Il avait pris l’habitude
alarmante de tirer son coutelas, quand il était ivre, et de le placer sur la
table à côté de lui. Cependant il s’occupait beaucoup moins des allants et
venants que par le passé, s’absorbait dans des rêveries sans fin, et au total
ne paraissait pas avoir toute sa tête.
C’est ainsi qu’un soir nous l’entendîmes, à notre grande surprise,
fredonner un air qu’il n’avait jamais chanté, une sorte de ritournelle
pastorale, datant peut-être des jours de sa jeunesse et de l’époque où il ne
connaissait pas encore la mer.
Les choses allèrent ainsi jusqu’au lendemain des funérailles de mon père.
Ce jour-là, vers trois heures, par un temps de brouillard et de gelée, je me
trouvais sur le seuil de l’auberge, plein de tristes pensées sur cette perte
cruelle, quand j’aperçus un homme qui s’avançait assez lentement sur la
route. C’était évidemment un aveugle, car, à chaque pas, il tapait devant
lui avec son bâton, sans compter qu’il avait sur les yeux une gigantesque
visière verte. Il allait tout courbé par l’âge ou la maladie, sous un grand
manteau à capuchon, très vieux et déchiré qui le faisait encore plus difforme.
Je n’ai jamais vu de physionomie aussi effrayante que cette face sans regard.