【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée II (2)
Un soir, à l’heure où l’on ne voit plus rien, je fumais, appuyé sur le parapet
du quai, lorsqu’une femme, remontant l’escalier qui conduit à la rivière,
vint s’asseoir près de moi. Elle avait dans les cheveux un gros bouquet de
jasmin, dont les larges pétales exhalent le soir une odeur enivrante. Elle était
simplement, peut-être pauvrement vêtue, tout en noir, comme la plupart des
grisettes dans la soirée. Les femmes comme il faut ne portent le noir que le
matin ; le soir, elles s’habillent a la francesa. En arrivant auprès de moi, ma
baigneuse laissa glisser sur ses épaules la mantille qui lui couvrait la tête,
et, à l’obscure clarté qui tombe des étoiles, je vis qu’elle était petite, jeune,
bien faite, et qu’elle avait de très grands yeux. Je jetai mon cigare aussitôt.
Elle comprit cette attention d’une politesse toute française, et se hâta de
me dire qu’elle aimait beaucoup l’odeur du tabac, et que même elle fumait,
quand elle trouvait des papelitos bien doux. Par bonheur, j’en avais de tels
dans mon étui, et je m’empressai de lui en offrir. Elle daigna en prendre
un, et l’alluma à un bout de corde enflammé qu’un enfant nous apporta
moyennant un sou. Mêlant nos fumées, nous causâmes si longtemps, la belle
baigneuse et moi, que nous nous trouvâmes presque seuls sur le quai. Je crus
n’être point indiscret en lui offrant d’aller prendre des glaces à la neveria.
Après une hésitation modeste elle accepta ; mais avant de se décider, elle
désira savoir quelle heure il était. Je fis sonner ma montre, et cette sonnerie
parut l’étonner beaucoup. – Quelles inventions on a chez vous, Messieurs
les étrangers ! De quel pays êtes-vous, Monsieur ? Anglais sans doute ?
Un soir, à l’heure où l’on ne voit plus rien, je fumais, appuyé sur le parapet
du quai, lorsqu’une femme, remontant l’escalier qui conduit à la rivière,
vint s’asseoir près de moi. Elle avait dans les cheveux un gros bouquet de
jasmin, dont les larges pétales exhalent le soir une odeur enivrante. Elle était
simplement, peut-être pauvrement vêtue, tout en noir, comme la plupart des
grisettes dans la soirée. Les femmes comme il faut ne portent le noir que le
matin ; le soir, elles s’habillent a la francesa. En arrivant auprès de moi, ma
baigneuse laissa glisser sur ses épaules la mantille qui lui couvrait la tête,
et, à l’obscure clarté qui tombe des étoiles, je vis qu’elle était petite, jeune,
bien faite, et qu’elle avait de très grands yeux. Je jetai mon cigare aussitôt.
Elle comprit cette attention d’une politesse toute française, et se hâta de
me dire qu’elle aimait beaucoup l’odeur du tabac, et que même elle fumait,
quand elle trouvait des papelitos bien doux. Par bonheur, j’en avais de tels
dans mon étui, et je m’empressai de lui en offrir. Elle daigna en prendre
un, et l’alluma à un bout de corde enflammé qu’un enfant nous apporta
moyennant un sou. Mêlant nos fumées, nous causâmes si longtemps, la belle
baigneuse et moi, que nous nous trouvâmes presque seuls sur le quai. Je crus
n’être point indiscret en lui offrant d’aller prendre des glaces à la neveria.
Après une hésitation modeste elle accepta ; mais avant de se décider, elle
désira savoir quelle heure il était. Je fis sonner ma montre, et cette sonnerie
parut l’étonner beaucoup. – Quelles inventions on a chez vous, Messieurs
les étrangers ! De quel pays êtes-vous, Monsieur ? Anglais sans doute ?