【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée III (20)
Lorsqu’elle parlait ainsi, j’avais envie de l’étrangler.
Pour le faire court, Monsieur, Carmen me procura un habit bourgeois,
avec lequel je sortis de Séville sans être reconnu. J’allai à Jerez avec
une lettre de Pastia pour un marchand d’anisette chez qui se réunissaient
des contrebandiers. On me présenta à ces gens-là dont le chef, surnommé
le Dancaïre, me reçut dans sa troupe. Nous partîmes pour Gaucin, où je
retrouvai Carmen qui m’y avait donné rendez-vous. Dans les expéditions,
elle servait d’espion à nos gens, et de meilleur il n’y en eut jamais. Elle
revenait de Gibraltar, et déjà elle avait arrangé avec un patron de navire
l’embarquement de marchandises anglaises que nous devions recevoir sur
la côte. Nous allâmes les attendre près d’Estepona, puis nous en cachâmes
une partie dans la montagne ; chargés du reste, nous nous rendîmes à Ronda.
Carmen nous y avait précédés. Ce fut elle encore qui nous indiqua le moment
où nous entrerions en ville. Ce premier voyage et quelques autres après
furent heureux. La vie de contrebandier me plaisait mieux que la vie de
soldat ; je faisais des cadeaux à Carmen. J’avais de l’argent et une maîtresse.
Je n’avais guère de remords, car, comme disent les Bohémiens : gale avec
plaisir ne démange pas. Partout nous étions bien reçus ; mes compagnons
me traitaient bien, et même me témoignaient de la considération. La raison,
c’était que j’avais tué un homme, et parmi eux il y en avait qui n’avaient pas
un pareil exploit sur la conscience. Mais ce qui me touchait davantage dans
ma nouvelle vie, c’est que je voyais souvent Carmen. Elle me montrait plus
d’amitié que jamais ; cependant, devant les camarades, elle ne convenait pas
qu’elle était ma maîtresse ; et même, elle m’avait fait jurer par toute sorte
de serments de ne rien leur dire sur son compte. J’étais si faible devant cette
créature, que j’obéissais à tous ses caprices. D’ailleurs, c’était la première
fois qu’elle se montrait à moi avec la réserve d’une honnête femme, et j’étais
assez simple pour croire qu’elle s’était véritablement corrigée de ses façons
d’autrefois.
Lorsqu’elle parlait ainsi, j’avais envie de l’étrangler.
Pour le faire court, Monsieur, Carmen me procura un habit bourgeois,
avec lequel je sortis de Séville sans être reconnu. J’allai à Jerez avec
une lettre de Pastia pour un marchand d’anisette chez qui se réunissaient
des contrebandiers. On me présenta à ces gens-là dont le chef, surnommé
le Dancaïre, me reçut dans sa troupe. Nous partîmes pour Gaucin, où je
retrouvai Carmen qui m’y avait donné rendez-vous. Dans les expéditions,
elle servait d’espion à nos gens, et de meilleur il n’y en eut jamais. Elle
revenait de Gibraltar, et déjà elle avait arrangé avec un patron de navire
l’embarquement de marchandises anglaises que nous devions recevoir sur
la côte. Nous allâmes les attendre près d’Estepona, puis nous en cachâmes
une partie dans la montagne ; chargés du reste, nous nous rendîmes à Ronda.
Carmen nous y avait précédés. Ce fut elle encore qui nous indiqua le moment
où nous entrerions en ville. Ce premier voyage et quelques autres après
furent heureux. La vie de contrebandier me plaisait mieux que la vie de
soldat ; je faisais des cadeaux à Carmen. J’avais de l’argent et une maîtresse.
Je n’avais guère de remords, car, comme disent les Bohémiens : gale avec
plaisir ne démange pas. Partout nous étions bien reçus ; mes compagnons
me traitaient bien, et même me témoignaient de la considération. La raison,
c’était que j’avais tué un homme, et parmi eux il y en avait qui n’avaient pas
un pareil exploit sur la conscience. Mais ce qui me touchait davantage dans
ma nouvelle vie, c’est que je voyais souvent Carmen. Elle me montrait plus
d’amitié que jamais ; cependant, devant les camarades, elle ne convenait pas
qu’elle était ma maîtresse ; et même, elle m’avait fait jurer par toute sorte
de serments de ne rien leur dire sur son compte. J’étais si faible devant cette
créature, que j’obéissais à tous ses caprices. D’ailleurs, c’était la première
fois qu’elle se montrait à moi avec la réserve d’une honnête femme, et j’étais
assez simple pour croire qu’elle s’était véritablement corrigée de ses façons
d’autrefois.