【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée III (26)
Après deux jours passés en courses inutiles, je n’avais rien appris touchant
la Rollona ni Carmen, et je pensais à retourner auprès de mes camarades
après avoir fait quelques emplettes, lorsqu’en me promenant par la rue, au
coucher du soleil, j’entends une voix de femme d’une fenêtre qui me dit :
– Marchand d’oranges !... Je lève la tête, et je vois à un balcon Carmen,
accoudée avec un officier en rouge, épaulettes d’or, cheveux frisés, tournure
d’un gros milord. Pour elle, elle était habillée superbement : un châle sur ses
épaules, un peigne d’or, tout en soie ; et la bonne pièce, toujours la même !
riait à cœur joie. L’Anglais, en baragouinant l’espagnol, me cria de monter,
que madame voulait des oranges ; et Carmen me dit en basque : – Monte,
et ne t’étonne de rien. – Rien, en effet, ne devait m’étonner de sa part. Je
ne sais si j’eus plus de joie que de chagrin en la retrouvant. Il y avait à la
porte un grand domestique anglais, poudré, qui me conduisit dans un salon
magnifique. Carmen me dit aussitôt en basque : – Tu ne sais pas un mot
d’espagnol, tu ne me connais pas. – Puis, se tournant vers l’Anglais : – Je
vous le disais bien, je l’ai tout de suite reconnu pour un Basque ; vous allez
entendre quelle drôle de langue. Comme il a l’air bête, n’est-ce pas ? On
dirait d’un chat surpris dans un garde-manger. – Et toi, lui dis-je dans ma
langue, tu as l’air d’une effrontée coquine, et j’ai bien envie de te balafrer la
figure devant ton galant. – Mon galant ! dit-elle, tiens, tu as deviné cela tout
seul ? Et tu es jaloux de cet imbécile-là ? Tu es encore plus niais qu’avant
nos soirées de la rue du Candilejo. Ne vois-tu pas, sot que tu es, que je fais
en ce moment les affaires d’Égypte, et de la façon la plus brillante. Cette
maison est à moi, les guinées de l’Écrevisse seront à moi ; je le mène par le
bout du nez, je le mènerai d’où il ne sortira jamais.
Après deux jours passés en courses inutiles, je n’avais rien appris touchant
la Rollona ni Carmen, et je pensais à retourner auprès de mes camarades
après avoir fait quelques emplettes, lorsqu’en me promenant par la rue, au
coucher du soleil, j’entends une voix de femme d’une fenêtre qui me dit :
– Marchand d’oranges !... Je lève la tête, et je vois à un balcon Carmen,
accoudée avec un officier en rouge, épaulettes d’or, cheveux frisés, tournure
d’un gros milord. Pour elle, elle était habillée superbement : un châle sur ses
épaules, un peigne d’or, tout en soie ; et la bonne pièce, toujours la même !
riait à cœur joie. L’Anglais, en baragouinant l’espagnol, me cria de monter,
que madame voulait des oranges ; et Carmen me dit en basque : – Monte,
et ne t’étonne de rien. – Rien, en effet, ne devait m’étonner de sa part. Je
ne sais si j’eus plus de joie que de chagrin en la retrouvant. Il y avait à la
porte un grand domestique anglais, poudré, qui me conduisit dans un salon
magnifique. Carmen me dit aussitôt en basque : – Tu ne sais pas un mot
d’espagnol, tu ne me connais pas. – Puis, se tournant vers l’Anglais : – Je
vous le disais bien, je l’ai tout de suite reconnu pour un Basque ; vous allez
entendre quelle drôle de langue. Comme il a l’air bête, n’est-ce pas ? On
dirait d’un chat surpris dans un garde-manger. – Et toi, lui dis-je dans ma
langue, tu as l’air d’une effrontée coquine, et j’ai bien envie de te balafrer la
figure devant ton galant. – Mon galant ! dit-elle, tiens, tu as deviné cela tout
seul ? Et tu es jaloux de cet imbécile-là ? Tu es encore plus niais qu’avant
nos soirées de la rue du Candilejo. Ne vois-tu pas, sot que tu es, que je fais
en ce moment les affaires d’Égypte, et de la façon la plus brillante. Cette
maison est à moi, les guinées de l’Écrevisse seront à moi ; je le mène par le
bout du nez, je le mènerai d’où il ne sortira jamais.