【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (16)
D’ordinaire, monsieur Lebigre trônait derrière le comptoir, assis sur une
banquette de cuir rouge capitonné. Il avait sous la main les liqueurs, des
flacons de cristal taillé, à moitié enfoncés dans les trous d’une console ;
et il appuyait son dos rond à une immense glace tenant tout le panneau,
traversée par deux étagères, deux lames de verre qui supportaient des bocaux
et des bouteilles. Sur l’une, les bocaux de fruits, les cerises, les prunes, les
pêches, mettaient leurs taches assombries ; sur l’autre, entre des paquets
de biscuits symétriques, des fioles claires, vert tendre, rouge tendre, jaune
tendre, faisaient rêver à des liqueurs inconnues, à des extraits de fleurs d’une
limpidité exquise. Il semblait que ces fioles fussent suspendues en l’air,
éclatantes et comme allumées, dans la grande lueur blanche de la glace.
Pour donner à son établissement un air de café, monsieur Lebigre avait
placé, en face du comptoir, contre le mur, deux petites tables de fonte
vernie, avec quatre chaises. Un lustre à cinq becs et à globes dépolis pendait
du plafond. L’œil-de-bœuf, une horloge toute dorée, était à gauche, audessus
d’un tourniquet scellé dans la muraille. Puis, au fond, il y avait le
cabinet particulier, un coin de la boutique que séparait une cloison, aux vitres
blanchies par un dessin à petits carreaux ; pendant le jour, une fenêtre qui
s’ouvrait sur la rue Pirouette, l’éclairait d’une clarté louche ; le soir, un bec
de gaz y brûlait, au-dessus de deux tables peintes en faux marbre. C’était là
que Gavard et ses amis politiques se réunissaient après leur dîner, chaque
soir. Ils s’y regardaient comme chez eux, ils avaient habitué le patron à leur
réserver la place. Quand le dernier venu avait tiré la porte de la cloison vitrée,
ils se savaient si bien gardés, qu’ils parlaient très carrément « du grand coup
de balai. » Pas un consommateur n’aurait osé entrer.
D’ordinaire, monsieur Lebigre trônait derrière le comptoir, assis sur une
banquette de cuir rouge capitonné. Il avait sous la main les liqueurs, des
flacons de cristal taillé, à moitié enfoncés dans les trous d’une console ;
et il appuyait son dos rond à une immense glace tenant tout le panneau,
traversée par deux étagères, deux lames de verre qui supportaient des bocaux
et des bouteilles. Sur l’une, les bocaux de fruits, les cerises, les prunes, les
pêches, mettaient leurs taches assombries ; sur l’autre, entre des paquets
de biscuits symétriques, des fioles claires, vert tendre, rouge tendre, jaune
tendre, faisaient rêver à des liqueurs inconnues, à des extraits de fleurs d’une
limpidité exquise. Il semblait que ces fioles fussent suspendues en l’air,
éclatantes et comme allumées, dans la grande lueur blanche de la glace.
Pour donner à son établissement un air de café, monsieur Lebigre avait
placé, en face du comptoir, contre le mur, deux petites tables de fonte
vernie, avec quatre chaises. Un lustre à cinq becs et à globes dépolis pendait
du plafond. L’œil-de-bœuf, une horloge toute dorée, était à gauche, audessus
d’un tourniquet scellé dans la muraille. Puis, au fond, il y avait le
cabinet particulier, un coin de la boutique que séparait une cloison, aux vitres
blanchies par un dessin à petits carreaux ; pendant le jour, une fenêtre qui
s’ouvrait sur la rue Pirouette, l’éclairait d’une clarté louche ; le soir, un bec
de gaz y brûlait, au-dessus de deux tables peintes en faux marbre. C’était là
que Gavard et ses amis politiques se réunissaient après leur dîner, chaque
soir. Ils s’y regardaient comme chez eux, ils avaient habitué le patron à leur
réserver la place. Quand le dernier venu avait tiré la porte de la cloison vitrée,
ils se savaient si bien gardés, qu’ils parlaient très carrément « du grand coup
de balai. » Pas un consommateur n’aurait osé entrer.