【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (52)
Ils le nourrissaient de leurs senteurs fortes, le suffoquaient, comme s’il
avait eu une indigestion d’odeurs. Lorsqu’il s’enfermait dans son bureau
l’écœurement le suivait, pénétrant par les boiseries mal jointes de la porte et
de la fenêtre. Les jours de ciel gris, la petite pièce restait toute noire ; c’était
comme un long crépuscule, au fond d’un marais nauséabond. Souvent,
pris d’anxiétés nerveuses, il avait un besoin de marcher, il descendait aux
caves, par le large escalier qui se creuse au milieu du pavillon. Là, dans l’air
renfermé, dans le demi-jour des quelques becs de gaz, il retrouvait la
fraîcheur de l’eau pure. Il s’arrêtait devant le grand vivier, où les poissons
vivants sont tenus en réserve ; il écoutait la chanson continue des quatre filets
d’eau tombant des quatre angles de l’urne centrale, coulant en nappe sous les
grilles des bassins fermés à clef, avec le bruit doux d’un courant perpétuel.
Cette source souterraine, ce ruisseau causant dans l’ombre, le calmait. Il se
plaisait aussi, le soir, aux beaux couchers de soleil qui découpaient en noir
les fines dentelles des Halles, sur les lueurs rouges du ciel ; la lumière de cinq
heures, la poussière volante des derniers rayons, entrait par toutes les baies,
par toutes les raies des persiennes ; c’était comme un transparent lumineux et
dépoli, où se dessinaient les arêtes minces des piliers, les courbes élégantes
des pentes, les figures géométriques des toitures. Il s’emplissait les yeux de
cette immense épure lavée à l’encre de Chine sur un vélin phosphorescent,
reprenant son rêve de quelque machine colossale, avec ses roues, ses leviers,
ses balanciers, entrevue dans la pourpre sombre du charbon flambant sous
la chaudière. À chaque heure, les jeux de lumière changeaient ainsi les
profils des Halles, depuis les bleuissements du matin et les ombres noires
de midi, jusqu’à l’incendie du soleil couchant, s’éteignant dans la cendre
grise du crépuscule. Mais, par les soirées de flamme, quand les puanteurs
montaient, traversant d’un frisson les grands rayons jaunes, comme des
fumées chaudes, les nausées le secouaient de nouveau, son rêve s’égarait, à
s’imaginer des étuves géantes, des cuves infectes d’équarisseur où fondait
la mauvaise graisse d’un peuple.
Ils le nourrissaient de leurs senteurs fortes, le suffoquaient, comme s’il
avait eu une indigestion d’odeurs. Lorsqu’il s’enfermait dans son bureau
l’écœurement le suivait, pénétrant par les boiseries mal jointes de la porte et
de la fenêtre. Les jours de ciel gris, la petite pièce restait toute noire ; c’était
comme un long crépuscule, au fond d’un marais nauséabond. Souvent,
pris d’anxiétés nerveuses, il avait un besoin de marcher, il descendait aux
caves, par le large escalier qui se creuse au milieu du pavillon. Là, dans l’air
renfermé, dans le demi-jour des quelques becs de gaz, il retrouvait la
fraîcheur de l’eau pure. Il s’arrêtait devant le grand vivier, où les poissons
vivants sont tenus en réserve ; il écoutait la chanson continue des quatre filets
d’eau tombant des quatre angles de l’urne centrale, coulant en nappe sous les
grilles des bassins fermés à clef, avec le bruit doux d’un courant perpétuel.
Cette source souterraine, ce ruisseau causant dans l’ombre, le calmait. Il se
plaisait aussi, le soir, aux beaux couchers de soleil qui découpaient en noir
les fines dentelles des Halles, sur les lueurs rouges du ciel ; la lumière de cinq
heures, la poussière volante des derniers rayons, entrait par toutes les baies,
par toutes les raies des persiennes ; c’était comme un transparent lumineux et
dépoli, où se dessinaient les arêtes minces des piliers, les courbes élégantes
des pentes, les figures géométriques des toitures. Il s’emplissait les yeux de
cette immense épure lavée à l’encre de Chine sur un vélin phosphorescent,
reprenant son rêve de quelque machine colossale, avec ses roues, ses leviers,
ses balanciers, entrevue dans la pourpre sombre du charbon flambant sous
la chaudière. À chaque heure, les jeux de lumière changeaient ainsi les
profils des Halles, depuis les bleuissements du matin et les ombres noires
de midi, jusqu’à l’incendie du soleil couchant, s’éteignant dans la cendre
grise du crépuscule. Mais, par les soirées de flamme, quand les puanteurs
montaient, traversant d’un frisson les grands rayons jaunes, comme des
fumées chaudes, les nausées le secouaient de nouveau, son rêve s’égarait, à
s’imaginer des étuves géantes, des cuves infectes d’équarisseur où fondait
la mauvaise graisse d’un peuple.