【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (75)
Elle l’aurait pris et jeté à la rue. Il le porta chez monsieur Lebigre, où
Rose reçut l’ordre d’en faire un pâté. Et, un soir, dans le cabinet vitré,
on mangea le pâté. Gavard paya des huîtres. Florent, peu à peu, venait
davantage, ne quittait plus le cabinet. Il y trouvait un milieu surchauffé,
où ses fièvres politiques battaient à l’aise. Parfois, maintenant, quand
il s’enfermait dans sa mansarde pour travailler, la douceur de la pièce
l’impatientait, la recherche théorique de la liberté ne lui suffisait plus, il
fallait qu’il descendît, qu’il allât se contenter dans les axiomes tranchants de
Charvet et dans les emportements de Logre. Les premiers soirs, ce tapage,
ce flot de paroles l’avait gêné ; il en sentait encore le vide, mais il éprouvait
un besoin de s’étourdir, de se fouetter, d’être poussé à quelque résolution
extrême qui calmât ses inquiétudes d’esprit. L’odeur du cabinet, cette odeur
liquoreuse, chaude de la fumée du tabac, le grisait, lui donnait une béatitude
particulière, un abandon de lui-même, dont le bercement lui faisait accepter
sans difficulté des choses très grosses. Il en vint à aimer les figures qui
étaient là, à les retrouver, à s’attarder à elles avec le plaisir de l’habitude. La
face douce et barbue de Robine, le profil sérieux de Clémence, la maigreur
blême de Charvet, la bosse de Logre, et Gavard, et Alexandre, et Lacaille,
entraient dans sa vie, y prenaient une place de plus en plus grande. C’était
pour lui comme une jouissance toute sensuelle. Lorsqu’il posait la main sur
le bouton de cuivre du cabinet, il lui semblait sentir ce bouton vivre, lui
chauffer les doigts, tourner de lui-même ; il n’eût pas éprouvé une sensation
plus vive, en prenant le poignet souple d’une femme.
Elle l’aurait pris et jeté à la rue. Il le porta chez monsieur Lebigre, où
Rose reçut l’ordre d’en faire un pâté. Et, un soir, dans le cabinet vitré,
on mangea le pâté. Gavard paya des huîtres. Florent, peu à peu, venait
davantage, ne quittait plus le cabinet. Il y trouvait un milieu surchauffé,
où ses fièvres politiques battaient à l’aise. Parfois, maintenant, quand
il s’enfermait dans sa mansarde pour travailler, la douceur de la pièce
l’impatientait, la recherche théorique de la liberté ne lui suffisait plus, il
fallait qu’il descendît, qu’il allât se contenter dans les axiomes tranchants de
Charvet et dans les emportements de Logre. Les premiers soirs, ce tapage,
ce flot de paroles l’avait gêné ; il en sentait encore le vide, mais il éprouvait
un besoin de s’étourdir, de se fouetter, d’être poussé à quelque résolution
extrême qui calmât ses inquiétudes d’esprit. L’odeur du cabinet, cette odeur
liquoreuse, chaude de la fumée du tabac, le grisait, lui donnait une béatitude
particulière, un abandon de lui-même, dont le bercement lui faisait accepter
sans difficulté des choses très grosses. Il en vint à aimer les figures qui
étaient là, à les retrouver, à s’attarder à elles avec le plaisir de l’habitude. La
face douce et barbue de Robine, le profil sérieux de Clémence, la maigreur
blême de Charvet, la bosse de Logre, et Gavard, et Alexandre, et Lacaille,
entraient dans sa vie, y prenaient une place de plus en plus grande. C’était
pour lui comme une jouissance toute sensuelle. Lorsqu’il posait la main sur
le bouton de cuivre du cabinet, il lui semblait sentir ce bouton vivre, lui
chauffer les doigts, tourner de lui-même ; il n’eût pas éprouvé une sensation
plus vive, en prenant le poignet souple d’une femme.