【Emile Zola】Le Ventre de Paris IV (107)
Cadine et Marjolin s’attaquèrent alors aux tapissières, aux haquets, aux
camions, qui stationnaient dans la rue déserte. Ils montaient sur les roues,
se balançaient aux bouts de chaîne, escaladaient les caisses, les paniers
entassés. Les arrière-magasins des commissionnaires de la rue de la Poterie
ouvraient là de vastes salles sombres, qui s’emplissaient et se vidaient
en un jour, ménageant à chaque heure de nouveaux trous charmants, des
cachettes, où les gamins s’oubliaient dans l’odeur des fruits secs, des
oranges, des pommes fraîches. Puis, ils se lassaient, ils allaient retrouver la
mère Chantemesse, sur le carreau des Innocents. Ils y arrivaient, bras dessus,
bras dessous, traversant les rues avec des rires, au milieu des voitures, sans
avoir peur d’être écrasés. Ils connaissaient le pavé, enfonçant leurs petites
jambes jusqu’aux genoux dans les fanes de légumes ; ils ne glissaient pas,
ils se moquaient, quand quelque roulier, aux souliers lourds, s’étalait les
quatre fers en l’air, pour avoir marché sur une queue d’artichaut. Ils étaient
les diables roses et familiers de ces rues grasses. On ne voyait qu’eux. Par
les temps de pluie, ils se promenaient gravement, sous un immense parasol
tout en loques, dont la marchande au petit tas avait abrité son éventaire
pendant vingt ans ; ils le plantaient gravement dans un coin du marché, ils
appelaient ça « leur maison. » Les jours de soleil, ils galopinaient, à ne plus
pouvoir remuer le soir ; ils prenaient des bains de pieds dans la fontaine,
faisaient des écluses en barrant les ruisseaux, se cachaient sous des tas de
légumes, restaient là, au frais, à bavarder, comme la nuit, dans leur lit. On
entendait souvent sortir, en passant à côté d’une montagne de laitues ou
de romaines, un caquetage étouffé. Lorsqu’on écartait les salades, on les
apercevait, allongés côte à côte, sur leur couche de feuilles, l’œil vif, inquiets
comme des oiseaux découverts au fond d’un buisson. Maintenant, Cadine ne
pouvait se passer de Marjolin, et Marjolin pleurait, quand il perdait Cadine.
S’ils venaient à être séparés, ils se cherchaient derrière toutes les jupes des
Halles, dans les caisses, sous les choux. Ce fut surtout sous les choux qu’ils
grandirent et qu’ils s’aimèrent.
Cadine et Marjolin s’attaquèrent alors aux tapissières, aux haquets, aux
camions, qui stationnaient dans la rue déserte. Ils montaient sur les roues,
se balançaient aux bouts de chaîne, escaladaient les caisses, les paniers
entassés. Les arrière-magasins des commissionnaires de la rue de la Poterie
ouvraient là de vastes salles sombres, qui s’emplissaient et se vidaient
en un jour, ménageant à chaque heure de nouveaux trous charmants, des
cachettes, où les gamins s’oubliaient dans l’odeur des fruits secs, des
oranges, des pommes fraîches. Puis, ils se lassaient, ils allaient retrouver la
mère Chantemesse, sur le carreau des Innocents. Ils y arrivaient, bras dessus,
bras dessous, traversant les rues avec des rires, au milieu des voitures, sans
avoir peur d’être écrasés. Ils connaissaient le pavé, enfonçant leurs petites
jambes jusqu’aux genoux dans les fanes de légumes ; ils ne glissaient pas,
ils se moquaient, quand quelque roulier, aux souliers lourds, s’étalait les
quatre fers en l’air, pour avoir marché sur une queue d’artichaut. Ils étaient
les diables roses et familiers de ces rues grasses. On ne voyait qu’eux. Par
les temps de pluie, ils se promenaient gravement, sous un immense parasol
tout en loques, dont la marchande au petit tas avait abrité son éventaire
pendant vingt ans ; ils le plantaient gravement dans un coin du marché, ils
appelaient ça « leur maison. » Les jours de soleil, ils galopinaient, à ne plus
pouvoir remuer le soir ; ils prenaient des bains de pieds dans la fontaine,
faisaient des écluses en barrant les ruisseaux, se cachaient sous des tas de
légumes, restaient là, au frais, à bavarder, comme la nuit, dans leur lit. On
entendait souvent sortir, en passant à côté d’une montagne de laitues ou
de romaines, un caquetage étouffé. Lorsqu’on écartait les salades, on les
apercevait, allongés côte à côte, sur leur couche de feuilles, l’œil vif, inquiets
comme des oiseaux découverts au fond d’un buisson. Maintenant, Cadine ne
pouvait se passer de Marjolin, et Marjolin pleurait, quand il perdait Cadine.
S’ils venaient à être séparés, ils se cherchaient derrière toutes les jupes des
Halles, dans les caisses, sous les choux. Ce fut surtout sous les choux qu’ils
grandirent et qu’ils s’aimèrent.