【Emile Zola】Le Ventre de Paris IV (112)
Maintenant, la petite se levait à quatre heures, pour aider sa patronne
dans ses achats. C’était, chaque matin, des brassées de fleurs achetées aux
horticulteurs de la banlieue, des paquets de mousse, des paquets de feuilles
de fougère et de pervenche, pour entourer les bouquets. Cadine restait
émerveillée devant les brillants et les valenciennes que portaient les filles
des grands jardiniers de Montreuil, venues au milieu de leurs roses. Les jours
de Sainte Marie, de Saint Pierre, de Saint Joseph, des saints patronymiques
très fêtés, la vente commençait à deux heures ; il se vendait, sur le carreau,
pour plus de cent mille francs de fleurs coupées ; des revendeuses gagnaient
jusqu’à deux cents francs en quelques heures. Ces jours-là, Cadine ne
montrait plus que les mèches frisées de ses cheveux au-dessus des bottes de
pensées, de réséda, de marguerites ; elle était noyée, perdue sous les fleurs ;
elle montait toute la journée des bouquets sur des brins de jonc. En quelques
semaines, elle avait acquis de l’habileté et une grâce originale. Ses bouquets
ne plaisaient pas à tout le monde ; ils faisaient sourire, et ils inquiétaient,
par un côté de naïveté cruelle. Les rouges y dominaient, coupés de tons
violents, de bleus, de jaunes, de violets, d’un charme barbare. Les matins
où elle pinçait Marjolin, où elle le taquinait à le faire pleurer, elle avait
des bouquets féroces, des bouquets de fille en colère, aux parfums rudes,
aux couleurs irritées. D’autres matins, quand elle était attendrie par quelque
peine ou par quelque joie, elle trouvait des bouquets d’un gris d’argent,
très doux, voilés, d’une odeur discrète. Puis, c’étaient des roses, saignantes
comme des cœurs ouverts, dans des lacs d’œillets blancs ; des glaïeuls
fauves, montant en panaches de flammes parmi des verdures effarées ; des
tapisseries de Smyrne, aux dessins compliqués, faites fleur à fleur, ainsi que
sur un canevas ; des éventails moirés, s’élargissant avec des douceurs de
dentelle ; des puretés adorables, des tailles épaissies, des rêves à mettre dans
les mains des harengères ou des marquises, des maladresses de vierge et des
ardeurs sensuelles de fille, toute la fantaisie exquise d’une gamine de douze
ans, dans laquelle la femme s’éveillait.
Maintenant, la petite se levait à quatre heures, pour aider sa patronne
dans ses achats. C’était, chaque matin, des brassées de fleurs achetées aux
horticulteurs de la banlieue, des paquets de mousse, des paquets de feuilles
de fougère et de pervenche, pour entourer les bouquets. Cadine restait
émerveillée devant les brillants et les valenciennes que portaient les filles
des grands jardiniers de Montreuil, venues au milieu de leurs roses. Les jours
de Sainte Marie, de Saint Pierre, de Saint Joseph, des saints patronymiques
très fêtés, la vente commençait à deux heures ; il se vendait, sur le carreau,
pour plus de cent mille francs de fleurs coupées ; des revendeuses gagnaient
jusqu’à deux cents francs en quelques heures. Ces jours-là, Cadine ne
montrait plus que les mèches frisées de ses cheveux au-dessus des bottes de
pensées, de réséda, de marguerites ; elle était noyée, perdue sous les fleurs ;
elle montait toute la journée des bouquets sur des brins de jonc. En quelques
semaines, elle avait acquis de l’habileté et une grâce originale. Ses bouquets
ne plaisaient pas à tout le monde ; ils faisaient sourire, et ils inquiétaient,
par un côté de naïveté cruelle. Les rouges y dominaient, coupés de tons
violents, de bleus, de jaunes, de violets, d’un charme barbare. Les matins
où elle pinçait Marjolin, où elle le taquinait à le faire pleurer, elle avait
des bouquets féroces, des bouquets de fille en colère, aux parfums rudes,
aux couleurs irritées. D’autres matins, quand elle était attendrie par quelque
peine ou par quelque joie, elle trouvait des bouquets d’un gris d’argent,
très doux, voilés, d’une odeur discrète. Puis, c’étaient des roses, saignantes
comme des cœurs ouverts, dans des lacs d’œillets blancs ; des glaïeuls
fauves, montant en panaches de flammes parmi des verdures effarées ; des
tapisseries de Smyrne, aux dessins compliqués, faites fleur à fleur, ainsi que
sur un canevas ; des éventails moirés, s’élargissant avec des douceurs de
dentelle ; des puretés adorables, des tailles épaissies, des rêves à mettre dans
les mains des harengères ou des marquises, des maladresses de vierge et des
ardeurs sensuelles de fille, toute la fantaisie exquise d’une gamine de douze
ans, dans laquelle la femme s’éveillait.