Pierre Corneille
Le Cid
皮埃尔·高乃依
熙德
ACTE III 
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SCÈNE IV - DON RODRIGUE, CHIMÈNE, ELVIRE
DON RODRIGUE 
Eh bien ! sans vous donner la peine de poursuivre, 
Assurez-vous l'honneur de m'empêcher de vivre.
CHIMÈNE 
Elvire, où sommes-nous, et qu'est-ce que je voi ? 
Rodrigue en ma maison ! Rodrigue devant moi !
DON RODRIGUE 
N'épargnez point mon sang ; goûtez, sans résistance, 
La douceur de ma perte et de votre vengeance.
CHIMÈNE 
Hélas !
DON RODRIGUE 
Écoute-moi
CHIMÈNE 
Je me meurs.
DON RODRIGUE 
Un moment.
CHIMÈNE 
Va, laisse-moi mourir.
DON RODRIGUE 
Quatre mots seulement ; 
Après, ne me réponds qu'avec cette épée.
CHIMÈNE 
Quoi ! du sang de mon père encor toute trempée !
DON RODRIGUE 
Ma Chimène...
CHIMÈNE 
Ôte-moi cet objet odieux 
Qui reproche ton crime et ta vie à mes yeux.
DON RODRIGUE 
Regarde-le plutôt pour exciter ta haine,
 
Pour accroître ta colère, et pour hâter ma peine.
CHIMÈNE 
Il est teint de mon sang.
DON RODRIGUE 
Plonge-le dans le mien, 
Et fais-lui perdre ainsi la teinture du tien.
CHIMÈNE 
Ah ! quelle cruauté, qui tout en un jour tue 
Le père par le fer, la fille par la vue ! 
Ôte-moi cet objet, je ne puis le souffrir : 
Tu veux que je t'écoute, et tu me fais mourir !
DON RODRIGUE 
Je fais ce que tu veux, mais sans quitter l'envie 
De finir par tes mains ma déplorable vie ; 
Car enfin n'attends pas de mon affection 
Un låche repentir d'une bonne action. 
L'irréparable effet d'une chaleur trop prompte 
Déshonorait mon père, et me couvrait de honte. 
Tu sais comme un soufflet touche un homme de coeur. 
J'avais part à l'affront, j'en ai cherché l'auteur : 
Je l'ai vu, j'ai vengé mon honneur et mon père ; 
Je le ferais encor, si j'avais à le faire. 
Ce n'est pas qu'en effet, contre mon père et moi, 
Ma flamme assez longtemps n'ait combattu pour toi : 
Juge de son pouvoir : dans une telle offense 
J'ai pu délibérer si j'en prendrais vengeance. 
Réduit à te déplaire, ou souffrir un affront, 
J'ai pensé qu'à son tour mon bras était trop prompt, 
Je me suis accusé de trop de violence ; 
Et ta beauté, sans doute, emportait la balance, 
À moins que d'opposer à tes plus forts appas 
Qu'un homme sans honneur ne te méritait pas ; 
Que malgré cette part que j'avais en ton âme, 
Qui m'aima généreux me haïrait infâme ; 
Qu'écouter ton amour, obéir à ta voix, 
C'était m'en rendre indigne et diffamer ton choix. 
Je te le dis encore, et, quoique j'en soupire, 
Jusqu'au dernier soupir je veux bien le redire : 
Je t'ai fait une offense, et j'ai dû m'y porter 
Pour effacer ma honte, et pour te mériter ; 
Mais, quitte envers l'honneur, et quitte envers mon père, 
C'est maintenant à toi que je viens satisfaire : 
C'est pour t'offrir mon sang qu'en ce lieu tu me vois. 
Je fait ce que j'ai dû, je fais ce que je dois. 
Je sais qu'un père mort t'arme contre mon crime ; 
Je ne t'ai pas voulu dérober ta victime : 
Immole avec courage au sang qu'il a perdu 
Celui qui met sa gloire à l'avoir répandu.
CHIMÈNE 
Ah ! Rodrigue ! il est vrai, quoique ton ennemie, 
Je ne puis te blâmer d'avoir fui l'infamie ; 
Et, de quelque façon qu'éclatent mes douleurs, 
Je ne t'accuse point, je pleure mes malheurs. 
Je sais ce que l'honneur, après un tel outrage, 
Demandait à l'ardeur d'un généreux courage : 
Tu n'as fait le devoir que d'un homme de bien ; 
Mais aussi, le faisant, tu m'as appris le mien. 
Ta funeste valeur m'instruit par ta victoire ; 
Elle a vengé ton père et soutenu ta gloire : 
Même soin me regarde, et j'ai, pour m'affliger, 
Ma gloire à soutenir, et mon père à venger. 
Hélas ! ton intérêt ici me désespère. 
Si quelque autre malheur m'avait ravi mon père, 
Mon âme aurait trouvé dans le bien de te voir 
L'unique allégement qu'elle eût pu recevoir ; 
Et contre ma douleur j'aurais senti des charmes, 
Quand une main si chère eût essuyé mes larmes, 
Mais il me faut te perdre après l'avoir perdu ; 
Cet effort sur ma flamme à mon honneur est dû ; 
Et cet affreux devoir, dont l'ordre m'assassine, 
Me force à travailler moi-même à ta ruine. 
Car enfin n'attends pas de mon affection 
De lâches sentiments pour ta punition. 
De quoi qu'en ta faveur notre amour m'entretienne, 
Ma générosité doit répondre à la tienne : 
Tu t'es, en m'offensant, montré digne de moi ; 
Je me dois, par ta mort, montrer digne de toi.
DON RODRIGUE 
Ne diffère donc plus ce que l'honneur t'ordonne : 
Il demande ma tête, et je te l'abandonne ; 
Fais-en un sacrifice à ce noble intérêt, 
Le coup m'en sera doux, aussi bien que l'arrêt. 
Attendre après mon crime une lente justice, 
C'est reculer ta gloire autant que mon supplice. 
Je mourrai trop heureux mourant d'un coup si beau.
CHIMÈNE 
Va, je suis ta partie, et non pas ton bourreau. 
Si tu m'offres ta tête, est-ce à moi de la prendre ? 
Je la dois attaquer, mais tu dois la défendre ; 
C'est d'un autre que toi qu'il me faut l'obtenir, 
Et je dois te poursuivre, et non pas te punir.
DON RODRIGUE 
De quoi qu'en ma faveur notre amour t'entretienne,
 
Ta générosité doit répondre à la mienne ; 
Et pour venger un père emprunter d'autres bras, 
Ma Chimène, crois-moi, c'est n'y répondre pas : 
Ma main seule du mien a su venger l'offense, 
Ta main seule du tien doit prendre la vengeance.
CHIMÈNE 
Cruel ! à quel propos sur ce point t'obstiner ? 
Tu t'es vengé sans aide, et tu m'en veux donner ! 
Je suivrai ton exemple, et j'ai trop de courage 
Pour souffrir qu'avec toi ma gloire se partage. 
Mon père et mon honneur ne veulent rien devoir 
Aux traits de ton amour, ni de ton désespoir.
DON RODRIGUE 
Rigoureux point d'honneur ! hélas ! quoi que je fasse, 
Ne pourrai-je à la fin obtenir cette grâce ? 
Au nom d'un père mort, ou de notre amitié, 
Punis-moi par vengeance, ou du moins par pitié. 
Ton malheureux amant aura bien moins de peine 
À mourir par ta main qu'à vivre avec ta haine.
CHIMÈNE 
Va, je ne te hais point.
DON RODRIGUE 
Tu le dois.
CHIMÈNE 
Je ne puis.
DON RODRIGUE 
Crains-tu si peu le blâme, et si peu les faux bruits ? 
Quand on saura mon crime, et que ta flamme dure, 
Que ne publieront point l'envie et l'imposture ! 
Force-les au silence, et, sans plus discourir, 
Sauve ta renommée en me faisant mourir.
CHIMÈNE 
Elle éclate bien mieux en te laissant la vie ; 
Et je veux que la voix de la plus noire envie 
Élève au ciel ma gloire et plaigne mes ennuis, 
Sachant que je t'adore et que je te poursuis. 
Va-t'en, ne montre plus à ma douleur extrême 
Ce qu'il faut que je perde, encore que je l'aime. 
Dans l'ombre de la nuit cache bien ton départ ; 
Si l'on te voit sortir, mon honneur court hasard. 
La seule occasion qu'aura la médisance, 
C'est de savoir qu'ici j'ai souffert ta présence : 
Ne lui donne point lieu d'attaquer ma vertu.
DON RODRIGUE 
Que je meure !
CHIMÈNE 
Va-t'en.
DON RODRIGUE 
À quoi te résous-tu ?
CHIMÈNE 
Malgré des feux si beaux qui troublent ma colère, 
Je ferai mon possible à bien venger mon père ; 
Mais, malgré la rigueur d'un si cruel devoir, 
Mon unique souhait est de ne rien pouvoir.
DON RODRIGUE 
Ô miracle d'amour !
CHIMÈNE 
Ô comble de misère !
DON RODRIGUE 
Que de maux et de pleurs nous coûteront nos pères !
CHIMÈNE 
Rodrigue, qui l'eût cru ?
DON RODRIGUE 
Chimène, qui l'eût dit ?
CHIMÈNE 
Que notre heur fût si proche, et sitôt se perdît ?
RODRIGUE 
Et que si près du port, contre toute apparence 
Un orage si prompt brisât notre espérance ?
CHIMÈNE 
Ah ! mortelles douleurs !
DON RODRIGUE 
Ah ! regrets superflus !
CHIMÈNE 
Va-t'en, encore un coup, je ne t'écoute plus.
DON RODRIGUE 
Adieu ; je vais traîner une mourante vie, 
Tant que par ta poursuite elle me soit ravie.
 
CHIMÈNE 
Si j'en obtiens l'effet, je t'engage ma foi 
De ne respirer pas un moment après toi. 
Adieu ; sors, et surtout garde bien qu'on te voie.
Elvire 
Madame, quelques maux que le ciel nous envoie...
Chimène 
Ne m'importune plus, laisse-moi soupirer. 
Je cherche le silence et la nuit pour pleurer.
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