Scrooge fit cette question parce qu'il ne savait pas si un spectre aussi transparent pouvait se trouver dans la condition voulue pour prendre un siège, et il sentait que, si par hasard la chose était impossible, il le réduirait à la nécessité d'une explication embarrassante. Mais le fantôme s'assit vis-à-vis de lui, de l'autre côté de la cheminée, comme s'il ne faisait que cela toute la journée.
«Vous ne croyez pas en moi? observa le spectre.
— Non, dit Scrooge.
— Quelle preuve de ma réalité voudriez-vous avoir, outre le témoignage de vos sens?
— Je ne sais trop, répondit Scrooge.
— Pourquoi doutez-vous de vos sens?
— Parce que, répondit Scrooge, la moindre chose suffit pour les affecter. Il suffit d'un léger dérangement dans l'estomac pour les rendre trompeurs; et vous pourriez bien n'être au bout du compte qu'une tranche de boeuf mal digérée, une demi-cuillerée de moutarde, un morceau de fromage, un fragment de pomme de terre mal cuite. Qui que vous soyez, pour un mort vous sentez plus la bierre que la bière.»
Scrooge n'était pas trop dans l'habitude de faire des calembours, et il se sentait alors réellement, au fond du coeur, fort peu disposé à faire le plaisant. La vérité est qu'il essayait ce badinage comme un moyen de faire diversion à ses pensées et de surmonter son effroi, car la voix du spectre le faisait frissonner jusque dans la moelle des os.