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都德《小东西》:下篇 第十四章 梦

时间:2011-04-08来源:互联网 进入法语论坛
核心提示:Le Petit Chose 小东西 Alphonse Daudet 阿尔丰斯都德 DEUXIEME PARTIE 下篇 Chapitre XIV LE REVE 第十四章 梦 REGARDE donc, Daniel, me dit ma mre Jacques quand nous entrmes dans la chambre de l'htel Pilois : c'est comme la nuit d
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Le Petit Chose

小东西

Alphonse Daudet

阿尔丰斯·都德


DEUXIEME PARTIE 下篇

Chapitre XIV   LE REVE  第十四章 梦

“REGARDE donc, Daniel, me dit ma mère Jacques quand nous entrâmes dans la chambre de l'hôtel Pilois : c'est comme la nuit de ton arrivée à Paris!” Comme cette nuit-là, en effet, un joli réveillon nous attendait sur une nappe bien blanche : le pâté sentait bon, le vin avait l'air vénérable, la flamme claire des bougies riait au fond des verres... Et pourtant, et pourtant, ce n'était plus la même chose! Il y a des bonheurs qu'on ne recommence pas. Le réveillon était le même ; mais il y manquait la fleur de nos anciens convives, les belles ardeurs de l'arrivée, les projets de travail, les rêves de gloire, et cette sainte confiance qui fait rire et qui donne faim. Pas un, hélas! pas un de ces réveillonneurs du temps passé n'avait voulu venir chez M. Pilois. Ils étaient tous restés dans le clocher de Saint-Germain ; même, au dernier moment, l'Expansion, qui nous avait promis d'être de la fête, fit dire qu'elle ne viendrait pas. 
Oh! non, ce n'était plus la même chose. Je le compris si bien qu'au lieu de m'égayer, l'observation de Jacques me fit monter aux yeux un grand flot de larmes. Je suis sûr qu'au fond du coeur il avait bonne envie de pleurer, lui aussi; mais il eut le courage de se contenir, et me dit en prenant un petit air allègre : “ Voyons ! Daniel, assez pleuré ! Tu ne fais que cela depuis une heure. (Dans la voiture, pendant qu'il me parlait, je n'avais cessé de sangloter sur son épaule.) En voilà un drôle d'accueil! Tu me rappelles positivement les plus mauvais jours de mon histoire, le temps des pots de colle et de : 
“Jacques tu es un âne!” Voyons! séchez vos larmes, jeune repenti, et regardez-vous dans la glace, cela vous fera rire. ” Je me regardai dans la glace ; mais je ne ris pas. 
Je me fis honte... J'avais ma perruque jaune collée à plat sur mon front, du rouge et du blanc plein les joues, par là-dessus la sueur, les larmes... C'était hideux! D'un geste de dégoût, j'arrachai ma perruque ! mais, au moment de la jeter, je fis réflexion, et j'allai la pendre au beau milieu de la muraille. 
Jacques me regardait très étonné : “ Pourquoi la mets-tu là, Daniel ? C'est très vilain, ce trophée de guerrier apache... Nous avons l'air d'avoir scalpé Polichinelle. ” Et moi, très gravement : “ Non! Jacques, ce n'est pas un trophée. C'est mon remords, mon remords palpable et visible, que je veux avoir toujours devant moi. ” Il y eut l'ombre d'un sourire amer sur les lèvres de Jacques, mais tout de suite, il reprit sa mine joyeuse : “ Bah ! laissons cela tranquille ; maintenant que te voilà débarbouillé et que j'ai retrouvé ta chère frimousse, mettons-nous à table, mon joli frisé, je meurs de faim. ” Ce n'était pas vrai ; il n'avait pas faim, ni moi non plus, grand Dieu! J'avais beau vouloir faire bon visage au réveillon, tout ce que je mangeais s'arrêtait à ma gorge, et, malgré mes efforts pour être calme, j'arrosais mon. pâté de larmes silencieuses. 
Jacques, qui m'épiait du coin de l'oeil, me dit au bout d'un moment : “Pourquoi pleures-tu ? Est-ce que tu regrettes d'être ici ? Est-ce que tu m'en veux de t'avoir enlevé ?... ” Je lui répondis tristement : “ Voilà une mauvaise parole, Jacques ! mais je t'ai donné le droit de tout me dire. ” Nous continuâmes pendant quelque temps encore à manger, ou plutôt à faire semblant. A la fin, impatienté de cette comédie que nous nous jouions l'un à l'autre, Jacques repoussa son assiette et se leva. 
“Décidément le réveillon ne va pas ; nous ferions mieux de nous coucher... ” Il y a chez nous un proverbe qui dit : “ Le tourment et le sommeil ne sont pas camarades de lit. ” Je m'en aperçus cette nuit-là. Mon tourment c'était de songer à tout le bien que m'avait fait ma mère Jacques et à tout le mal que je lui avais rendu, de comparer ma vie à la sienne, mon égoïsme à son dévouement, cette âme d'enfant lâche à ce coeur de héros, qui avait pris pour devise : “ Il n'y a qu'un bonheur au monde, le bonheur des autres. ” C'était aussi de me dire : “ Maintenant, ma vie est gâtée. 
J'ai perdu la confiance de Jacques, l'amour des yeux noirs, l'estime de moi-même... Qu'est-ce que je vais devenir ? ” . 
Cet affreux tourment-là me tint éveillé jusqu'au matin... Jacques non plus ne dormit pas. Je l'entendis se virer de droite et de gauche sur son oreiller, et tousser d'une petite toux sèche qui me picotait les yeux. Cette fois, je lui demandai bien doucement : 
“ Tu tousses! Jacques. Est-ce que tu es malade ?... ” Il me répondit: “ Ce n'est rien... Dors... ” Et je compris à son air qu'il était plus fâché contre moi qu'il ne voulait le paraître. Cette idée redoubla mon chagrin, et je me remis à pleurer seul sous ma couverture, tant et tant que je finis par m'endormir. Si le tourment empêche le sommeil, les larmes sont un narcotique. 
Quand je me réveillai, il faisait grand jour. Jacques n'était plus à côté de moi. Je le croyais sorti ; mais, en écartant les rideaux, je l'aperçus à l'autre bout de la chambre, couché sur un canapé, et si pâle, oh ! si pâle... Je ne sais quelle idée terrible me traversa la cervelle. “ Jacques!” criai-je en m'élançant vers lui... Il dormait, mon cri ne le réveilla pas. 
Chose singulière, son visage avait dans le sommeil une expression de souffrance triste que je ne lui avais jamais vue, et qui pourtant ne m'était pas nouvelle. Ses traits amaigris, sa face allongée, la pâleur de ses joues, la transparence maladive de ses mains, tout cela me faisait peine à voir, mais une peine déjà ressentie. 
Cependant, Jacques n'avait jamais été malade. 
Jamais il n'avait eu auparavant ce demi-cercle bleuâtre sous les yeux, ce visage décharné... Dans quel monde antérieur avais-je donc eu la vision de ces choses ?... Tout à coup, le souvenir de mon rêve me revint. Oui ! c'est cela, voilà bien le Jacques du rêve, pâle, horriblement pâle, étendu sur un canapé, il vient de mourir, Daniel Eyssette, et c'est vous qui l'avez tué... A ce moment un rayon de soleil gris entre timidement par la fenêtre et vient courir comme un lézard sur ce pâle visage inanimé... O douceur ! voilà le mort qui se réveille, se frotte les yeux, et me voyant debout devant lui, me dit avec un gai sourire : 
“Bonjour, Daniel! As-tu bien dormi? Moi, je toussais trop. Je me suis mis sur ce canapé pour ne pas te réveiller. ” Et tandis qu'il me parle bien tranquillement, je sens mes jambes qui tremblent encore de l'horrible vision que je viens d'avoir, et je dis dans le secret de mon coeur : “ Eternel Dieu, conservez-moi ma mère Jacques!” Malgré ce triste réveil, le matin fut assez gai. Nous sûmes même retrouver un écho des anciens bons rires, lorsque je m'aperçus en m'habillant que je possédais, pour tout vêtement une culotte courte en futaine et un gilet. rouge à grandes basques, défroques théâtrales que j'avais sur moi au moment de l'enlèvement. 
“ Pardieu ! mon cher, me dit Jacques, on ne pense pas à tout. Il n'y a que les don, Juan sans délicatesse qui songent au trousseau quand ils enlevèrent une belle. Du reste, n'aie pas peur. Nous allons te faire habiller de neuf... Ce sera encore comme à ton arrivée à Paris. ” Il disait cela pour me faire plaisir, car il sentait bien comme moi que ce n'était plus la même chose. 
“ Allons, Daniel, continua mon brave Jacques, en voyant ma mine redevenir songeuse, ne pensons plus au passé. Voici une vie nouvelle qui s'ouvre devant nous, entrons-y sans remords, sans méfiance, et tâchons seulement qu'elle ne nous joue pas les mêmes tours que l'ancienne... Ce que tu comptes faire désormais, mon frère, je ne te le demande pas, mais il me semble que si tu veux entreprendre un nouveau poème l'endroit sera bon, ici, pour travailler. La chambre est tranquille. Il y a des oiseaux qui chantent dans le jardin. Tu mets l'établi aux rimes devant la fenêtre... ” Je l'interrompis vivement : “ Non ! Jacques, plus de poèmes, plus de rimes. Ce sont des fantaisies qui te coûtent trop cher. Ce que je veux, maintenant, c'est faire comme toi, travailler, gagner ma vie, et t'aider de toutes mes forces à reconstruire le foyer. ” Et lui souriant et calme : “ Voilà de beaux projets, monsieur le papillon bleu ; mais ce n'est point cela qu'on vous demande. Il ne s'agit pas de gagner votre vie, et si seulement vous promettiez... Mais, baste! nous recauserons de cela plus tard... Allons acheter tes habits. ” 
Je fus obligé, pour sortir, d'endosser une de ses redingotes, qui me tombait jusqu'aux talons et me donnait l'air d'un musicien piémontais; il ne me manquait qu'une harpe. Quelques mois auparavant, si j'avais dû courir les rues dans un pareil accoutrement, je serais mort de honte ; mais, pour l'heure, j'avais bien d'autres hontes à fouetter, et les yeux des femmes pouvaient rire sur mon passage, ce n'était plus la même chose que du temps de mes caoutchoucs... Oh! non! ce n'était plus la même chose. “ A présent que te voilà chrétien, me dit la mère Jacques en sortant de chez le fripier, je vais te ramener à l'hôtel Pilois : puis, j'irai voir si le marchand de fer dont je tenais les livres avant mon départ veut encore me donner de l'ouvrage.." L'argent de Pierrotte ne sera pas éternel ; il faut que je songe à notre pot-au-feu. ” J'avais envie de lui dire: “ Eh bien, Jacques, va-t'en chez ton marchand de fer. Je saurai bien rentrer seul à la maison. ” Mais ce qu'il en faisait, je le compris, c'était pour être sûr que je n'allais pas retourner à Montparnasse. Ah! s'il avait pu lire dans mon âme. 
Pour le tranquilliser, je le laissai me reconduire jusqu'à l'hôtel ; mais à peine eut-il les talons tournés que je pris mon vol dans la rue. J'avais des courses à faire, moi aussi... 
Quand je rentrai il était tard. Dans la brume du jardin, une grande ombre noire se promenait avec agitation. C'était ma mère Jacques. “ Tu as bien fait d'arriver me dit-il en grelottant. J'allais partir pour Montparnasse...” J'eus un mouvement de colère : “ Tu doutes trop de moi, Jacques, ce n'est pas généreux... Est-ce que nous serons toujours ainsi? Est-ce que tu ne me rendras jamais ta confiance ? Je te jure, sur ce que j'ai de plus cher au monde, que je ne viens pas d'où tu crois, que cette femme est morte pour moi, que je ne la reverrai jamais, que tu m'as reconquis tout entier, et que ce passé terrible auquel ta tendresse m'arrache ne m'a laissé que des remords et pas un regret... Que faut-il te dire encore pour te convaincre ? Ah ! tiens, méchant! Je voudrais t'ouvrir ma poitrine, tu verrais que je ne mens pas. ” Ce qu'il me répondit ne m'est pas resté, mais je me souviens que dans l'ombre, il secouait tristement la tête de l'air de dire : “ Hélas! je voudrais bien te croire... ” Et cependant j'étais sincère en lui parlant ainsi. Sans doute qu'à moi seul je n'aurais jamais eu le courage de m'arracher à cette femme, mais maintenant que la chaîne est brisée, j'éprouvais un soulagement inexprimable. Comme ces gens qui essaient de se faire mourir par le charbon et qui s'en repentent au dernier moment, lorsqu'il est trop tard et que déjà l'asphyxie les étrangle et les paralyse. Tout à coup les voisins arrivent, la porte vole en éclats, l'air sauveur circule dans la chambre, et les pauvres suicidés le boivent avec délices, heureux de vivre encore et promettant de ne plus recommencer. Moi pareillement, après cinq mois d'asphyxie morale, je humais à pleines narines l'air pur et fort de la vie honnête, j'en remplissais mes poumons, et je vous jure Dieu que je n'avais pas envie de recommencer... 
C'est ce que Jacques ne voulait pas croire, et tous les serments du monde ne l'auraient pas convaincu de ma sincérité... Pauvre garçon! Je lui en avais tant fait! Nous passâmes cette première soirée chez nous, assis au coin du feu comme en hiver, car la chambre était humide et la brume du jardin nous pénétrait jusqu'à la moelle des os. Puis, vous savez, quand on est triste, cela semble bon de voir un peu de flamme... Jacques travaillait, faisait des chiffres. 
En son absence, le marchand de fer avait voulu tenir ses livres lui-même et il en était résulté un si beau griffonnage, un tel gâchis du doit et avoir qu'il fallait maintenant un mois de grand travail pour remettre les choses en état. Comme vous pensez, je n'aurais pas mieux demandé que d'aider ma mère Jacques dans cette opération. Mais les papillons bleus n'entendent rien à l'arithmétique ; et, après une heure passée sur ces gros cahiers de commerce rayés de rouge et chargés d'hiéroglyphes bizarres, je fus obligé de jeter ma plume aux chiens. 
Jacques, lui, se tirait à merveille de cette aride besogne. Il donnait, tête baissée, au plus épais des chiffres, et les grosses colonnes ne lui faisaient pas peur. De temps en temps, au milieu de son travail, il se tournait vers moi et me disait, un peu inquiet de ma rêverie silencieuse: 
“Nous sommes bien, n'est-ce pas ? Tu ne t'ennuies pas, au moins ?” Je ne m'ennuyais pas, mais j'étais triste de lui voir prendre tant de peine, et je pensais, plein d'amertume : “ Pourquoi suis-je sur la terre ?... Je ne sais rien faire de mes bras... Je ne paie pas ma place au soleil de la vie. Je ne suis bon qu'à tourmenter le monde et faire pleurer les yeux qui m'aiment... ” En me disant cela, je songeais aux yeux noirs, et je regardais douloureusement la petite boîte à filets d'or que Jacques avait posée - peut-être à dessein - sur le dôme carré de la pendule. Que de chose 'elle me rappelait, cette boîte! Quels discours éloquents elle me tenait du haut de son socle de bronze! “ Les yeux noirs t'avaient donné leur coeur, qu'en as-tu fait ? me disait-elle... tu l'as livré en pâture aux bêtes... C'est Coucou-Blanc qui l'a mangé. ” Et moi, gardant encore un germe d'espoir au fond de l'âme, j'essayais de rappeler à la vie, de réchauffer de mon haleine tous ces anciens bonheurs tués de ma propre main. Je songeais: “ C'est Coucou-Blanc qui l'a mangé!... C'est Coucou-Blanc qui l'a mangé!... ” 
...Cette longue soirée mélancolique, passée devant le feu, en travail et en rêvasseries, vous représente assez bien la nouvelle vie que nous allions mener dorénavant. Tous les jours qui suivirent ressemblèrent à cette soirée... Ce n'est pas Jacques qui rêvassait, bien entendu. Il vous restait des dix heures sur ses gros livres, enfoui jusqu'au cou dans la chiffraille. Moi, pendant ce temps, je tisonnais et, tout en tisonnant, je disais à la petite boîte à filets d'or : 
“ Parlons un peu des yeux noirs! veux-tu ?... ” Car pour en parler avec Jacques, il n'y fallait pas penser. 
Pour une raison ou pour une autre, il évitait avec soin toute conversation à ce sujet. Pas même un mot sur Pierrotte. Rien... Aussi je prenais ma revanche avec la petite boîte, et nos causeries n'en finissaient pas. 
Vers le milieu du jour, quand je voyais ma mère bien en train sur ses livres, je gagnais la porte à pas de chat et m'esquivais doucement, en disant: “A tout à l'heure, Jacques!” Jamais il ne me demandait où j'allais ; mais je comprenais à son air malheureux, au ton plein d'inquiétude dont il me faisait : “ Tu t'en vas ? ” qu'il n'avait pas grande confiance en moi. L'idée de cette femme le poursuivait toujours. Il pensait: “ S'il la revoit, nous sommes perdus !... ” Et qui sait? Peut-être avait-il raison. Peut-être que si je l'avais revue, l'ensorceleuse, j'aurais encore subi le charme qu'elle exerçait sur mon pauvre moi, avec sa crinière d'or pâle et son signe blanc au coin de la lèvre... Mais, Dieu merci! je ne la revis pas. 
Un monsieur de Huit-à-Dix quelconque lui fit sans doute oublier son Dani-Dan, et jamais plus, jamais plus, je n'entendis parler d'elle, ni de sa Négresse Coucou-Blanc. 
Un soir, au retour d'une de mes courses mystérieuses, j'entrai dans la chambre avec un cri de joie : “ Jacques! Jacques! Une bonne nouvelle. J'ai trouvé une place... Voilà dix jours que, sans t'en rien dire, je battais le pavé à cette intention... Enfin, c'est fait. J'ai une place... Dès demain, j'entre comme surveillant général à l'institution Ouly, à Montmartre, tout près de chez nous... J'irai de sept heures du matin à sept heures du soir... Ce sera beaucoup de temps passé loin de toi, mais au moins je gagnerai ma vie, et je pourrai te soulager un peu. ” Jacques releva sa tête de dessus ses chiffres, et me répondit assez froidement : “ Ma foi! mon cher, tu fais bien de venir à mon secours... La maison serait trop lourde pour moi seul... Je ne sais pas ce que j'ai, mais depuis quelque temps je me sens tout patraque. ” Un violent accès de toux l'empêcha de continuer. Il laissa tomber sa plume d'un air de tristesse et vint se jeter sur le canapé... De le voir allongé là-dessus, pâle, horriblement pâle, la terrible vision de mon rêve passa encore une fois devant mes yeux, mais ce ne fut qu'un éclair... Presque aussitôt ma mère Jacques se releva et se mit à rire en voyant ma mine égarée : 
“ Ce n'est rien, nigaud! C'est un peu de fatigue. 
J'ai trop travaillé ces derniers temps... Maintenant que tu as une place, j'en prendrai plus à mon aise, et dans huit jours je serai guéri. ” Il disait cela si naturellement, d'une figure si riante, que mes tristes pressentiments s'envolèrent, et, d'un grand mois, je n'entendis plus dans mon cerveau le battement de leurs ailes noires... 
Le lendemain, j'entrai à l'institut Ouly. 
Malgré son étiquette pompeuse, l'institution Ouly était une petite école pour rire, tenue par une vieille dame à repentirs, que les enfants appelaient “ bonne amie ”. Il y avait là-dedans une vingtaine de petits bonshommes, mais, vous savez! des tout petits, de ceux qui viennent à la classe avec leur goûter dans un panier, et toujours un bout de chemise qui passe. 
C'étaient nos élèves. Mme Ouly leur apprenait des cantiques ; moi, je les initiais aux mystères de l'alphabet. J'étais en outre chargé de surveiller les récréations, dans une cour où il y avait des poules et un coq d'Inde dont ces messieurs avaient grand-peur. 
Quelquefois aussi, quand “ bonne amie ” avait sa goutte, c'était moi qui balayais la classe, besogne bien peu digne d'un surveillant général, et que pourtant je faisais sans dégoût, tant je me sentais heureux de pouvoir gagner ma vie... Le soir, en rentrant à l'hôtel Pilois, je trouvais le dîner servi et la mère Jacques qui m'attendait... Après dîner, quelques tours de jardin faits à grands pas, puis la veillée au coin du feu... Voilà toute notre vie... De temps en temps, on recevait une lettre de M. ou Mme Eyssette; c'étaient nos grands événements. Mme Eyssette continuait à vivre chez l'oncle Baptiste ; M. Eyssette voyageait toujours pour la Compagnie vinicole. 
Les affaires n'allaient pas trop mal. Les dettes de Lyon étaient aux trois quarts payées. Dans un an ou deux, tout serait réglé, et on pourrait songer à se remettre tous ensemble... 
Moi, j'étais d'avis, en attendant, de faire venir Mme Eyssette à l'hôtel Pilois avec nous, mais Jacques ne voulait pas. “ Non! pas encore, disait-il d'un air singulier, pas encore... Attendons!” Et cette réponse, toujours la même, me brisait le coeur. Je me disais : “ Il se méfie de moi... Il a peur que je fasse encore quelque folie quand Mme Eyssette sera ici. C'est pour cela qu'il veut attendre encore... ” Je me trompais... Ce n'était pas pour cela que Jacques disait : “ Attendons ! ” 
 

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