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CHAPTER XXV

时间:2020-10-13来源:互联网 进入法语论坛
核心提示:Dans cette anne 1846, au milieu du coulage de son existence, Anatole eut une vellit de travail; l'ide de faire un tablea
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 Dans cette année 1846, au milieu du «coulage» de son existence, Anatole eut une velléité de travail; l'idée de faire un tableau, d'exposer, lui vint comme il sortait du Louvre, le dernier jour de l'exposition, échauffé et monté par ce qu'il avait vu, la foule, le public, les tableaux, l'admiration et la presse devant deux ou trois toiles de ses camarades d'atelier.
 
Il lui restait encore quelque argent sur l'affaire des Julien. L'occasion était bonne pour se payer une œuvre. En revenant il entra chez Desforges, commanda une toile de 100, choisit des brosses, se remonta de couleurs. Puis il dîna vite, et, sa lampe allumée, il se mit à chercher son idée dans le tâtonnement et la bavochure d'un trait au fusain. Le lendemain, un peu mordu de fièvre, du matin, du commencement du jour à sa tombée, il couvrit des feuilles de papier de crayonnages d'esquisse. On frappa à sa porte, il n'ouvrit pas.
 
Le soir, au lieu d'aller au café, il alla faire une petite promenade sur la place de la Bastille, et, rentré chez lui, il donna vivement quelques indications dernières à un grand dessin choisi parmi les autres, et qu'il avait fixé au mur avec un clou.
 
Le lendemain, aussitôt qu'il eut sa toile, il reporta dessus sa composition à la craie. Les amis qu'il laissa entrer ce jour-là riaient, assez étonnés de le voir piocher, et l'appelaient «l'homme qui a un chef-d'œuvre dans le ventre». Anatole les laissa dire avec la majesté de quelqu'un qui se sentait au-dessus des plaisanteries; et il passa quelques jours à assurer consciencieusement toutes ses places.
 
Ses places bien assurées, il fuma beaucoup de cigarettes devant sa toile, avec une sorte de recueillement, tourna autour de sa boîte à couleurs, l'ouvrit, la ferma, et à la fin se mit à jeter précipitamment les premiers dessous sur la toile.
 
—Ça me démange, vois-tu,—dit-il au camarade qui était là,—je reprendrai cela avec le modèle.
 
Au bout de quatre ou cinq jours, la toile était couverte, et le sujet du tableau d'Anatole apparaissait clairement.
 
Ce tableau, où l'élève de Langibout avait mis toute son inspiration, n'était pas précisément une peinture: il était avant tout une pensée. Il sortait bien plus des entrailles de l'artiste que de sa main. Ce n'était pas le peintre qui avait voulu s'y affirmer, mais l'homme; et le dessin y cédait visiblement le pas à l'utopie. Ce tableau était en un mot la lanterne magique des opinions d'Anatole, la traduction figurative et colorée de ses tendances, de ses aspirations, de ses illusions; le portrait allégorique et la transfiguration de toutes les généreuses bêtises de son cœur. Cette sorte de veulerie tendre, qui faisait sa bienveillance universelle, le vague embrassement dont il serrait toute l'humanité dans ses bras, sa mollesse de cervelle à ce qu'il lisait, le socialisme brouillé qu'il avait puisé çà et là dans un Fourier décomplété et dans des lambeaux de papiers déclamatoires, de confuses idées de fraternité mêlées à des effusions d'après boire, des apitoiements de seconde main sur les peuples, les opprimés, les déshérités, un certain catholicisme libéral et révolutionnaire, le «Rêve de bonheur» de Papety entrevu à travers le Phalanstère, voilà ce qui avait fait le tableau d'Anatole, le tableau qui devait s'appeler au Salon prochain de ce grand titre: le Christ humanitaire.
 
Étrange toile qui avait les horizons consolants et nuageux des principes d'Anatole! Imaginez une Salente du progrès, une Thélème de la solidarité dans une Icarie de feux de Bengale. La composition semblait commencer par l'abbé de Saint-Pierre et finir par Eugène Sue. Tout en haut du tableau, les trois vertus théologales, la Foi, l'Espérance, la Charité, devenaient dans le ciel, où l'écharpe d'Iris se plissait en façon de drapeau tricolore, les trois vertus républicaines: la Liberté, l'Égalité, la Fraternité. De leurs robes elles touchaient une sorte de temple posé sur les nuages et portant au fronton le mot: Harmonia, qui abritait les poëtes et des écoles mutuelles, la Pensée et l'Éducation. Au-dessous de ce nuage, qui planait à la façon du nuage de la Dispute du Saint-Sacrement, on apercevait à gauche un forgeron avec les instruments de la forge passés autour de sa ceinture de cuir, et dans le fond la Maturité, l'Abondance, la Moisson: de ce côté, un soleil se levant derrière une ruche éclairait la silhouette d'une charrue. A droite, une sœur de Bon-Secours était en prières, et derrière elle se voyaient des hospices, des crèches, des enfants, des vieillards. Au bas, sur le premier plan, des hommes arrachaient d'une colonne des mandements d'évêque, un frère ignorantin montrait son dos fuyant; un cardinal se sauvait, tout courbé, avec une cassette sous le bras; et d'un tombeau qui portait sur son marbre les armes papales, un grand Christ se dressait, dont la main droite était transpercée d'un triangle de feu où se lisait en lettres d'or: Pax!
 
Ce Christ était naturellement la lumière et la grande figure du tableau. Anatole l'avait fait beau de toute la beauté qu'il imaginait. Il l'avait flatté de toutes ses forces. Il avait essayé d'y incarner son type de Dieu dans une espèce de figure de bel ouvrier et de jeune premier du Golgotha. Il y avait encore mêlé un peu de ressouvenirs de lithographies d'après Raphaël, et un reste de mémoire d'une lorette qu'il avait aimée; et battant le tout, il avait créé un fils de Dieu ayant comme un air de cabot idéal: son Christ ressemblait à la fois à un Arthur du paradis et à un Mélingue du ciel.
 
La toile couverte, Anatole flâna quelques jours: il «tenait» son tableau. Puis il arrêta un modèle. Le modèle vint: Anatole travailla mal; la séance terminée il ne lui dit pas de revenir.
 
Anatole n'avait jamais été pris par l'étude d'après nature. Il ne connaissait pas ce ravissement d'attention par la vie qui pose là devant le regard, l'effort presque enivrant de la serrer de près, la lutte acharnée, passionnée, de la main de l'artiste contre la réalité visible. Il ne ressentait point ces satisfactions qui renversent un peu le dessinateur en arrière, et lui font contempler un instant, dans un mouvement de recul, ce qu'il croit avoir senti, rendu, conquis, de son modèle.
 
D'ailleurs, il n'éprouvait pas le besoin d'interroger, de vérifier la nature: il avait ce déplorable aplomb de la main qui sait de routine la superficie de l'anatomie humaine, la silhouette ordinaire des choses. Et depuis longtemps il avait pris l'habitude de ne plus travailler que de chic, de peindre au jugé avec l'acquis des souvenirs d'école, une habitude de certaines couleurs, un flux courant de figures, la tradition de vieux croquis. Malheureusement il était adroit, doué de cette élégance banale qui empêche le progrès, la transformation, et noue l'homme à un semblant de talent, à un à peu près de style canaille. Anatole, pas plus qu'un autre, ne devait guérir de cette triste facilité, de cette menteuse et décevante vocation qui met au bout des doigts d'un artiste la production d'une mécanique.
 
Il remplaçait le modèle par une maquette en terre sur laquelle il ajustait, pour les plis, son mouchoir mouillé, et, se trouvant plus à l'aise d'après cela, il se mettait à économiser les extrémités de ses personnages: il se rappelait le magnifique exemple d'un de ses camarades qui, dans un tableau de la Pentecôte, avait eu le génie de ne faire qu'une paire de mains pour les douze apôtres.
 
Pourtant sa première fougue était un peu passée, et il commençait à trouver que la tentative était pénible, de vouloir faire tenir le monde de l'avenir et la religion du vingtième siècle dans une toile de 100. Il commença un petit panneau, revint de temps en temps à sa grande toile, y fit toutes sortes de changements au gré de son caprice du moment. Puis il la laissa des jours, des semaines, n'y touchant plus que de loin en loin, et s'en dégoûtant un peu plus à mesure qu'il y travaillait.
 
L'idée de son «Christ humanitaire» pâlissait d'ailleurs depuis quelque temps dans son imagination et faisait place au souvenir, à l'image présente de Debureau qu'il allait voir presque tous les soirs aux Funambules. Il était poursuivi par la figure de Pierrot. Il revoyait sa spirituelle tête, ses grimaces blanches sous le serre-tête noir, son costume de clair de lune, ses bras flottants dans ses manches; et il songeait qu'il y avait là une mine charmante de dessins. Déjà il avait exécuté sous le titre des «Cinq sens», une série de cinq Pierrots à l'aquarelle, dont la chromolithographie s'était assez bien vendue chez un marchand d'imagerie de la rue Saint-Jacques. Le succès l'avait poussé dans cette veine. Il pensait à de nouvelles suites de dessins, à de petits tableaux; et tout au fond de lui il caressait l'idée de se tailler une spécialité, de s'y faire un nom, d'être un jour le Maître aux Pierrots. Et chez lui ce n'était pas seulement le peintre, c'était l'homme aussi qui se sentait entraîné par une pente de sympathie vers le personnage légendaire incarné dans la peau de Debureau: entre Pierrot et lui, il reconnaissait des liens, une parenté, une communauté, une ressemblance de famille. Il l'aimait pour ses tours de force, pour son agilité, pour la façon dont il donnait un soufflet avec son pied. Il l'aimait pour ses vices d'enfant, ses gourmandises de brioches et de femmes, les traverses de sa vie, ses aventures, sa philosophie dans le malheur et ses farces dans les larmes. Il l'aimait comme quelqu'un qui lui ressemblait, un peu comme un frère, et beaucoup comme son portrait.
 
Aussi il lâcha bientôt tout à fait son Christ pour ce nouvel ami, le Pierrot qu'il tourna et retourna dans toutes sortes de scènes et de situations comiques fort drôlement imaginées. Et il avait presque oublié son tableau sérieux, lorsqu'un architecte de ses amis vint lui demander, de la part d'un curé, un Christ pour une chapelle de couvent «dans les prix doux». Anatole reprit aussitôt sa grande toile, enleva tous les accessoires humanitaires, troua la tunique de son Christ pour lui mettre un cœur rayonnant: quoi qu'il fît, le curé ne trouva jamais son Bon Pasteur assez évangélique pour le prix qu'il voulait y mettre.
 
Quand le malheureux tableau lui revint:—Seigneur,—fit Anatole en allant à la toile,—on dit que Judas vous a vendu: ce n'est pas comme moi. Et maintenant, excusez la lessive!
 
Disant cela, il effaça et barbouilla toute la toile furieusement, jusqu'à ce qu'il eût fait sortir du corps divin un grand Pierrot, l'échine pliée, l'œil émérillonné.
 
Quelques jours après, dans les caves du bazar Bonne-Nouvelle, le public faisait foule à la porte d'un nouveau spectacle de pantomime devant ce Pierrot signé: A. B.,—et qui avait un Christ comme dessous!
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