Un jardinier, qui était fort habile cultivateur, cultivait dans son terrain les plus beaux légumes et les plus beaux fruits. Il se levait de grand matin, se couchait tard, et travaillait tout le jour.
Il y avait dans le voisinage un autre jardinier, qui n'était pas moins habile, mais qui était envieux de tout ce qui arrivait d'heureux à son prochain. Chaque fois qu'il voyait que les arbres ou les autres plantes du premier donnaient de belles espérances, il en était tout soucieux: c'était bien pire quand ces espérances se réalisaient: il était dèsolé. Une année il avait remarqué que la treille de son voisin annonçait une superbe récolte, tandis que la sienne ne promettait rien de bon, sans doute parce qu'elle était moins bien exposée. Ne pouvant résister au désir de satisfaire son envie, il se leva la nuit et coupa toutes les plus belles branches des ceps de vigne de son confrère; il s'en alla sans qu'on l'eût vu, et le lendemain apprit avec joie que celui-ci était plongé dans la douleur.
Or, dans ce temps-là on ne connaissait pas l'art de tailler la vigne; l'on ne savait pas que pour obtenir des raisins beaux et bons il faut retrancher à chaque pied la plus grande partie des branches nouvelles. L'on fut donc bien étonné de voir que la treille, loin de souffrir, produisit des raisins en très-grande abondance et délicieux.
L'envieux éprouva une telle douleur qu'il en tomba malade. Mais son voisin, qui réfléchit sur cet événement, comprit qu'il avait eu lieu parce qu'en retranchant une partie des branches, toute la sève de chaque pied de vigne avait profité au fruit.