AGATHA CHRISTIE
AVANT-PROPOS
par
le Docteur GILES REILLY
Les événements rapportés dans ce récit eurent lieu voilà quatre ans. Vu les
circonstances, il est nécessaire, à mon sens, qu’une relation fidèle et impartiale
en soit donnée au public. Les bruits les plus invraisemblables ont fait croire à la
suppression de témoignages essentiels et à d’autres billevesées du même genre.
Ces fausses interprétations ont surtout été publiées dans la presse américaine.
Pour des raisons évidentes, il était préférable que ce compte rendu ne fût
pas rédigé par un membre de l’expédition qu’on aurait pu accuser de parti pris.
Je conseillai donc à miss Leatheran d’entreprendre cette tâche. Elle me
semblait tout indiquée pour la mener à bien. Ses références professionnelles sont
hors de pair, elle n’est pas suspecte d’avoir connu au préalable les membres de
l’expédition de l’université de Pittstown séjournant en Irak. Intelligente et
observatrice, elle fut un témoin oculaire des plus précieux.
Miss Leatheran se laissa difficilement persuader, et même, lorsqu’elle finit
par accepter, je ne la décidai qu’avec peine à me montrer son manuscrit. Par la
suite, je découvris que son hésitation était due en partie à certaines remarques
faites par elle concernant ma fille Sheila. Je la rassurai sur ce point : en effet, de
nos jours, les enfants ne se gênant guère pour critiquer leurs parents, ceux-ci sont
trop heureux de voir, à leur tour, leur progéniture mise sur la sellette. De surcroît,
elle éprouvait une extrême modestie à propos de son style. Elle espérait, me dit-
elle, que je « redresserais son orthographe et sa syntaxe ». Au contraire, je me
suis nettement opposé à en altérer un simple mot. Selon moi, miss Leatheran écrit
d’une manière vigoureuse, personnelle et tout à fait appropriée au sujet. Si elle
appelle le petit détective belge « Poirot » dans un paragraphe et « Monsieur
Poirot » dans le suivant, une telle variante est à la fois intéressante et suggestive.
C’est que, tantôt, son éducation soignée reprend le dessus (n’oublions pas, en
effet, que les infirmières anglaises respectent tout particulièrement l’étiquette) et
qu’à d’autres moments, faisant abstraction de son voile et de ses manchettes, elle
raconte les événements comme tout autre être humain l’eût fait à sa place.