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CHAPITRE VI PREMIÈRE SOIRÉE(4)

时间:2023-09-28来源:互联网 进入法语论坛
核心提示:Mon mari y sera, en train de travailler, ajouta-t-elle.Elle me conduisit dans une pice claire par une lampe, mais il ny
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— Mon mari y sera, en train de travailler, ajouta-t-elle.

Elle me conduisit dans une pièce éclairée par une lampe, mais il n’y avait

personne. Mme Mercado me montra des appareils où des ornements de cuivre

étaient soumis à un traitement chimique, et aussi des ossements recouverts d’une

couche de cire.

— Où diable peut être Joseph ? s’exclama Mme Mercado.

Elle jeta un coup d’œil dans l’atelier des architectes où Carey dessinait. À

peine s’il leva les yeux à notre entrée, et je fus frappée par l’expression de grande

fatigue sur son visage. Une idée se présenta à mon esprit : « Cet homme est au

bout de son rouleau ; il ne saurait continuer longtemps ainsi. » Et je me souvins

qu’une autre personne avait émis la même réflexion à son sujet.

Au moment de sortir, je détournai la tête pour l’observer une dernière fois.

Penché sur son papier, les lèvres serrées, il évoquait d’une façon étonnante une

« tête de mort », tant les os de sa figure ressortaient. Peut-être était-ce simple

imagination de ma part, mais il me faisait l’effet d’un chevalier de jadis partant

pour la guerre avec la certitude de périr sur le champ de bataille.

De nouveau, je ressentis toute la force d’attraction qu’il dégageait

inconsciemment.

Nous découvrîmes M. Mercado dans la salle commune. Il exposait un

nouveau procédé scientifique à Mrs Leidner, assise sur une chaise à dossier droit,

et en train de broder des fleurs sur un tissu soyeux. Derechef, je fus stupéfaite par

son aspect fragile et éthéré. On eût dit une créature féerique, plutôt qu’un être en

chair et en os.

Mme Mercado cria d’une voix perçante et aigre :

— Ah ! te voilà, Joseph ! Nous pensions te trouver au labo.

Il sursauta, étonné et confus, comme si l’entrée de sa femme venait de

rompre le charme. Il balbutia :

— Je… Il faut que je m’en aille à présent. J’arrive au milieu de… au milieu

de…

Il n’acheva point sa phrase et se dirigea vers la porte.

Mrs Leidner lui dit, de sa voix douce et légèrement traînante :

— Vous me raconterez la fin une autre fois. C’est passionnant.

Elle nous considéra avec un sourire aimable, mais évasif, puis elle reprit sa

broderie.

Au bout d’un instant, elle prononça :

— Nous avons là un bon choix de livres, nurse. Choisissez-en un et venez

donc vous asseoir.

Je me dirigeai vers le rayon, Mme Mercado s’attarda encore une minute,

puis, se retournant brusquement, s’en alla. Comme elle passait devant moi, je

remarquai l’expression de ses traits qui me déplut souverainement. Elle paraissait

hors d’elle-même.

Malgré moi, je me rappelai certains détails auxquels Mrs Kelsey avait fait

allusion touchant Mrs Leidner. Il me répugnait de les approfondir, car

Mrs Leidner m’inspirait une vive sympathie ; toutefois, je me demandais s’ils ne

contenaient pas une parcelle de vérité.

Évidemment, on ne pouvait en tenir grief à Mrs Leidner, mais il n’empêche

que la chère vieille miss Johnson, avec toute sa laideur, et cette chipie de

Mme Mercado, vulgaire au possible, ne lui arrivaient pas à la cheville en matière

de séduction. Et, nous autres nurses, sommes bien placées pour le savoir ; les

hommes sont des hommes sous tous les climats.

Mercado n’avait rien d’un don Juan, et j’ai tout lieu de supposer que

Mrs Leidner n’attachait aucune importance à ses galantes attentions, mais sa

femme s’en offusquait. Si je ne me trompe, elle prenait la chose au tragique et

n’eût pas reculé, le cas échéant, à jouer un mauvais tour à Mrs Leidner.

J’observai Mrs Leidner, assise là, en train de broder ses jolies fleurs, l’air si

hautain et détaché de toutes contingences. Je me demandai s’il convenait de

l’avertir. Peut-être ignorait-elle jusqu’où peuvent aller la violence et la haine

déchaînées par la jalousie et comme il faut peu de choses pour attiser cette

passion.

Puis, je me dis : « Amy Leatheran, tu es une sotte ! Cette femme n’est pas

née d’hier. Elle frise la quarantaine et doit posséder une expérience suffisante de

la vie. »

En mon for intérieur, j’en doutais cependant.

Elle semblait si pure !

Quelle sorte d’existence avait-elle pu mener ? Je savais qu’elle avait épousé

le Dr Leidner deux ans auparavant et, suivant les dires de Mme Mercado, son

premier mari était mort voilà une vingtaine d’années.

Je m’assis près d’elle avec un livre et, au bout d’un certain temps, j’allai me

laver les mains avant le dîner. Le repas fut excellent… surtout le curry, au-dessus

de toute éloge. Tout le monde se retira de bonne heure, à ma plus grande

satisfaction, car je tombais de fatigue.

Le Dr Leidner m’accompagna jusqu’à ma chambre et s’inquiéta de savoir

s’il ne me manquait rien.

Il me serra chaleureusement la main et me dit d’un ton aimable :

— Elle vous aime beaucoup, nurse. Vous lui avez plu immédiatement. Je

m’en félicite. J’ai l’impression, dès maintenant, que tout s’arrangera pour le

mieux.

Son enthousiasme avait quelque chose de juvénile.

De mon côté, je sentais que Mrs Leidner éprouvait envers moi de la

sympathie et je m’en réjouissais.

Cependant, je ne partageais pas l’optimisme du mari. Il devait ignorer

certains faits, que je ne pouvais préciser, mais que je flairais dans l’air.

Mon lit, bien que douillet, ne me procura pas le sommeil. Toute la nuit, je

fus pourchassée par des rêves. Les vers d’un poème de Keats, que j’avais appris

par cœur dans mon enfance, me trottaient par la tête. Chaque fois je les récitais

mal, et cette pensée m’exaspérait. J’avais toujours détesté ce poème, sans doute

parce que je dus, autrefois, l’apprendre de force. Or, à mon réveil, j’y découvris

une sorte de beauté.

Oh ! quel mal te ronge, chevalier solitaire…

J’évoquai la face pâle du chevalier… sous les traits de Mr Carey : un visage

bronzé, aux traits tirés et exsangues, qui me rappelait maints jeunes hommes que,

fillette, j’avais vus au cours de la guerre… et je le plaignis. Bientôt je m’assoupis

et la Belle Dame sans Merci m’apparut sous les traits de Mrs Leidner. Penchée

sur la selle d’un cheval, elle tenait à la main sa broderie fleurie. Puis le coursier

trébucha et le sol fut jonché d’ossements recouverts de cire. Je m’éveillai avec la

chair de poule et constatai, une fois de plus, que le curry ne me réussissait pas le

soir.

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