— Quelle idée !
— Évidemment, cela semble absurde, mais vous auriez pu être son
complice… et non une véritable infirmière.
— Cette fois, vous déraisonnez !
— Peut-être, car souvent je n’ai plus ma tête à moi.
Frappée par une idée subite, je lui dis :
— Sans doute reconnaîtriez-vous votre premier mari ?
Elle répondit lentement :
— Je n’en suis pas certaine. Songez que ce drame remonte à plus de quinze
ans. Sa physionomie a pu se modifier.
Alors elle frémit.
— J’ai vu son visage une nuit, mais c’était celui d’un mort. J’entendis
frapper à la fenêtre, puis j’aperçus une tête qui grimaçait contre la vitre. Je
poussai des cris et des hurlements… et l’on m’assura qu’il ne s’y trouvait rien !
Je me rappelai, à ce moment, la version de Mme Mercado.
— N’auriez-vous pas plutôt rêvé ?
— Oh ! non, je puis vous l’affirmer !
Moi, je n’en étais pas aussi certaine. Étant donné les circonstances, de tels
cauchemars avaient pu être pris pour la réalité. Comme j’ai pour principe de ne
jamais contredire un patient, j’essayai de la réconforter de mon mieux et lui fis
remarquer que si un étranger rôdait dans les parages, on en serait aussitôt averti.
Je la laissai, je crois, un peu rassurée, puis j’allai trouver Mr Leidner et le
mis au courant de ma conversation avec sa femme.
— Je suis heureux qu’elle se soit confiée à vous, me dit-il simplement. Ces
menaces m’ont affreusement tourmenté. Je suis persuadé que cette tête vue à la
fenêtre et les coups frappés sur la vitre sont le produit de son imagination. Je ne
savais comment la calmer. Que pensez-vous de tout cela, nurse ?
Le ton de sa voix me parut énigmatique, mais je répondis sans hésiter :
— Il est possible que ces lettres ne soient qu’une cruelle plaisanterie.
— Oui, tout me porte à le croire. Mais qu’y faire ? Elle en perd la raison. Je
ne sais moi-même quelle décision prendre.
Moi non plus, du reste. Je soupçonnai une femme là-dessous. Ces lettres
trahissaient une main féminine. Je concevais une arrière-pensée contre
Mme Mercado.
Supposé que, par hasard, elle eût appris la vérité touchant le premier mariage
de Mrs Leidner, elle pouvait fort bien terroriser celle-ci pour assouvir sa jalousie.
Il me répugnait d’en faire allusion au Dr Leidner. On ne peut jamais prévoir
l’attitude de certaines gens en telle ou telle circonstance.
— Oh ! Il n’y a pas lieu de désespérer, lui dis-je en manière de consolation.
Je crois même que Mrs Leidner paraît rassérénée à la suite de notre entretien.
Cela soulage de raconter ses peines. Elles finissent par vous détraquer les nerfs si
vous vous repliez trop sur vous-même.
— Je suis très heureux qu’elle se soit confiée à vous, répéta-t-il. C’est bon
signe. Elle vous donne là une preuve de sympathie. Quant à moi, j’avoue avoir
épuisé tous les moyens pour la tranquilliser.
J’étais sur le point de lui demander s’il avait discrètement averti la police
locale, mais, par la suite, je ne me repentis point d’avoir gardé le silence.
Le lendemain, Mr Coleman devait se rendre à Hassanieh chercher le salaire
des ouvriers. En même temps, il emporterait notre correspondance pour la
remettre à l’avion postal.
Tous, nous jetâmes nos lettres, aussitôt écrites, dans une boîte en bois placée
sur le rebord de la fenêtre dans la salle à manger. Ce soir-là, avant d’aller se
coucher, Mr Coleman prit le courrier, en fit plusieurs paquets qu’il entoura de
bandes en caoutchouc.
Soudain, il poussa un cri.
— Que se passe-t-il ? demandai-je.
Il me tendit une lettre en ricanant.
— Décidément, notre belle Louise déraille. Elle envoie une lettre à la 42 e
Rue, à Paris, France. Je doute que ce soit correct. Auriez-vous l’obligeance de la
lui porter afin qu’elle rectifie cette adresse ? Elle vient d’aller se coucher.
Je pris l’enveloppe et courus chez Mrs Leidner pour la prier de faire la
correction nécessaire. Pour la première fois je voyais l’écriture de Mrs Leidner, et
pourtant elle me sembla familière.
Vers le milieu de la nuit, une idée me frappa tout à coup, cette écriture
ressemblait étonnamment à celle des lettres anonymes, sauf qu’elle était plus
grande et moins régulière.
De nouvelles présomptions affluèrent à mon esprit.
Avait-elle écrit ces lettres elle-même ?
Et son mari mettait-il en doute les affirmations de sa femme ?