Ensemble, nous portâmes le Dr Leidner sur son lit. Mr Emmott alla chercher
une bouteille de brandy et reparut en compagnie de miss Johnson. Elle avait
l’expression angoissée, mais elle demeurait calme et en possession de tous ses
esprits. Je lui confiai la garde du Dr Leidner.
D’un pas alerte, je sortis dans la cour. La camionnette passait à ce moment
sous la porte voûtée. Nous fûmes tous scandalisés en voyant le visage rose et
joyeux de Bill. Il sauta de son siège et poussa son habituel : « Hello ! Hello ! Me
voici avec la guimbarde ! Nous n’avons pas rencontré de voleurs de grand
chemin. »
Il s’arrêta net.
— Eh bien ! que se passe-t-il ici ? Qu’est-ce que vous avez tous ? Ne dirait-
on pas que le chat vient de tuer votre canari ?
— Mrs Leidner est morte… assassinée.
— Quoi ?
Son visage réjoui changea aussitôt d’expression. Les yeux arrondis, il
regardait devant lui.
— Mrs Leidner est morte ! Vous vous moquez de moi ?
— Morte !
Ce cri aigu me fit retourner et je vis Mme Mercado derrière moi.
— Vous dites que Mrs Leidner a été assassinée ?
— Oui, répondis-je. Assassinée.
— Non ! s’écria-t-elle. Jamais je ne pourrai croire cela. Peut-être s’est-elle
suicidée.
— Les gens qui se suicident ne se frappent pas derrière la tête, répondis-je
sèchement. C’est bel et bien un crime, madame Mercado.
Elle s’assit tout à coup sur une caisse retournée.
— Oui ! Mais c’est horrible ! Horrible !
Bien sûr, c’était horrible ! Nous n’avions pas besoin d’elle pour nous
l’apprendre ! Peut-être, pensai-je, la brave dame éprouvait-elle quelque remords
des mauvaises pensées qu’elle avait nourries contre la défunte et des propos
malveillants tenus par elle sur son compte.
Au bout d’un instant, elle demanda, haletante :
— Qu’allez-vous faire ?
Mr Emmott, avec son sang-froid habituel, prit les décisions nécessaires.
— Bill, vous devriez retourner le plus vite possible à Hassanieh. Je ne suis
guère au courant de la procédure à suivre. Tâchez de voir le capitaine Maitland,
chef de la police. Consultez d’abord le Dr Reilly. Il vous indiquera la marche à
suivre.
Coleman acquiesça d’un signe de tête.
Il avait pris un air grave, comme un enfant effrayé.
Sans dire une parole, il sauta dans la camionnette et repartit.
Mr Emmott proféra, d’un ton non convaincu :
— Peut-être ferions-nous bien de jeter un coup d’œil aux alentours.
Puis, haussant le ton, il appela :
— Ibrahim !
— Na’am !
Le jeune domestique arriva en courant. Mr. Emmott s’adressa à lui en langue
arabe et un dialogue animé s’ensuivit. Le boy semblait nier quelque chose avec
véhémence. Enfin, Mr Emmott déclara, perplexe :
— Il prétend qu’il n’est entré âme qui vive ici cet après-midi. Absolument
personne. L’assassin a dû s’introduire sans se faire voir.
— Naturellement, dit M. Mercado. Il s’est faufilé pendant un moment
d’inattention des boys.
— C’est peut-être cela, fit Mr Emmott.
Son hésitation m’incita à l’interroger du regard.
Il se retourna vers le jeune Abdullah et lui posa une question, à laquelle le
gamin répondit longuement en protestant de toutes ses forces.
Les rides s’accentuèrent sur le front de Mr Emmott.
— Je n’y comprends rien, mais rien du tout, murmura-t-il.
Mais il omit de m’expliquer ce qui l’intriguait à ce point.