— Je ne veux plus rester ici ! Je ne reste pas un jour de plus. Il y a du
danger… du danger partout ! Le fou se cache quelque part… attendant l’heure de
frapper. Il va bondir sur moi.
La bouche ouverte, elle se mit à crier de plus belle.
Je m’empressai vers le Dr Reilly qui maintenait la femme par les poignets.
J’appliquai à celle-ci deux bonnes claques sur les joues et, avec l’aide du
médecin, je la fis asseoir.
— Personne ne va vous tuer, lui dis-je. Nous veillerons sur vous. Restez
tranquille sur cette chaise.
Elle cessa de crier, referma la bouche et me regarda d’un œil stupide et
effaré.
Alors se produisit une nouvelle interruption. La porte s’ouvrit et Sheila
Reilly entra.
Le visage pâle et l’air grave, elle se dirigea vers Poirot.
— De bonne heure ce matin, je suis passée à la poste. Il y avait un
télégramme pour vous et je vous l’apporte.
— Merci bien, mademoiselle.
Il le prit et l’ouvrit sous le regard observateur de la jeune fille.
Le visage impassible, Poirot lut le télégramme, le replia soigneusement et le
glissa dans sa poche.
Mme Mercado le regardait faire. Elle demanda d’une voix étouffée :
— D’où vient-il ?… D’Amérique ?
Il hocha la tête :
— Non, madame… Il vient de Tunis.
Elle le considéra un instant comme si elle n’avait pas bien compris. Puis,
poussant un long soupir, elle se renversa sur le dossier de la chaise.
— Le père Lavigny ! dit-elle. Je savais bien que j’étais dans le vrai. J’ai
toujours jugé cet homme un peu bizarre. Un jour, il m’a raconté des choses… Il
doit avoir un grain.
Elle fit une pause, puis ajouta :
— Je me tiendrai tranquille. Mais je veux absolument quitter cette maison.
Joseph et moi nous préférons aller coucher à l’auberge.
— Patience, madame. Tout à l’heure j’expliquerai tout, dit Poirot.
Le capitaine Maitland le regarda d’un œil interrogateur.
— Ainsi, vous croyez tenir le nœud de l’affaire ? lui demanda-t-il.
Poirot s’inclina profondément, comme un acteur sur la scène, ce qui eut le
don d’irriter le capitaine.
— En ce cas, monsieur, parlez !
Mais Hercule Poirot ne l’entendait pas de cette oreille. Je le soupçonnais de
vouloir faire des embarras. Savait-il la vérité, ou était-ce simplement du bluff ?
Il se tourna vers le Dr Reilly.
— Auriez-vous l’obligeance d’appeler tout le monde, docteur ?
Le médecin s’empressa d’acquiescer au désir du détective. Une minute plus
tard, les autres membres de l’expédition faisaient leur entrée dans la pièce.
D’abord, Reiter et Emmott, puis Bill Coleman ; ensuite Richard Carey, et, enfin,
M. Mercado.
Ce dernier, pâle comme la mort, craignait sans doute d’être accusé
d’homicide par imprudence pour avoir laissé traîner à la portée de tous les
dangereux produits chimiques.
Chacun prit place autour de la table, comme le jour de l’arrivée de M. Poirot.
Bill Coleman et David Emmott hésitèrent avant de s’asseoir et jetèrent un regard
du côté de Sheila Reilly. Debout devant la fenêtre, elle leur tournait le dos.
— Voulez-vous un siège, Sheila ? lui demanda Bill.
Et David Emmott dit de sa voix agréable et lente :
— Vous ne désirez pas vous asseoir ?
Elle se retourna et regarda les deux jeunes gens. L’un et l’autre lui offraient
une chaise. Je me demandais laquelle elle choisirait.
En fin de compte, elle n’en prit aucune.
— Merci. Je préfère m’asseoir ici, dit-elle d’un ton brusque.
Elle s’installa sur le coin d’une table, à proximité de la fenêtre.
— Si toutefois, ajouta-t-elle, le capitaine n’y voit aucun inconvénient.
J’ignore quelle eût été la réponse du capitaine si Poirot ne l’avait devancé.
— Je vous en prie, mademoiselle, restez. Il est même indispensable que vous
assistiez à nos débats.
Elle leva les sourcils.
— Indispensable ?
— Je n’ai pas employé d’autre mot, mademoiselle. J’ai certaines questions à
vous poser.
De nouveau, elle leva les sourcils, mais garda le silence. Elle regarda par la
fenêtre, comme pour témoigner son indifférence à ce qui se passait dans la salle.
— À présent, dit le capitaine, nous allons enfin savoir la vérité !
Homme d’action avant tout, il parlait avec une certaine impatience. À ce
moment même, je suis persuadée que l’envie le démangeait de sortir pour aller à
la recherche du père Lavigny ou pour envoyer des hommes à ses trousses.
Il décocha vers Poirot un regard rien moins qu’amène.
— Si ce bougre a quelque chose à dire, que ne parle-t-il pas ?
Je devinais ces mots sur le bout de sa langue.
Poirot nous regarda tour à tour d’un air approbateur, puis se leva.
Certes, je m’attendais, de la part du petit Belge, à un discours pour le moins
dramatique, mais pas à cette sentence en langue arabe.
Parfaitement, il nous servit de l’arabe. D’une voix lente et solennelle,
presque religieuse, il prononça ces mots :
— Bismillahi ar rahman ar rahim.
Puis il nous en donna la traduction :
« Au nom d’Allah, le Compatissant et le Miséricordieux ! »