J'ai fait une corne ce soir.
Je te ferme, le temps est noir,
Petit livre si plein d'ivresse.
Adieu chansons, tout est fini,
Faisons place à la politique.
Cette seconde République
Pour ses rêveurs n'a pas un nid.
Nos récits étaient des sornettes.
L'heure est venue où les poëtes
Ne seront pas plus regardés
Que bretteurs ou pipeurs de dés.
Le monde, saturé de fables,
Délaisse petit à petit
Les pages où ces pauvres diables
Mettaient leur cœur et leur esprit.
Maigres comme des télégraphes,
Sous les balcons errants et las,
On vide sur eux des—carafes.—
Comme aux amoureux, dans Gil Blas…
Où chercher maintenant fortune?
L'Icarie est bien loin de nous;
Et puis, d'ailleurs, s'il en est une,
Elle est pour les planteurs de choux.
Que le ciel ne m'a-t-il fait naître
Comme ce bourgeois gras et blond,
Si bien mis, et si content d'être,
Qu'il n'en demande pas plus long?
Qu'ai-je fait à la Providence
Pour n'être pas tout simplement
Homme de peine et de silence,
Pêcheur breton, meunier normand?
Officier de cavalerie
Jouant au billard chaque soir
Et faisant une cour fleurie
Aux demoiselles de comptoir?
Surnuméraire à la marine,
Ayant de l'ordre et du crédit,
Avec des manches en lustrine
Pour ne point gâter mon habit?
Ou boutiquier dans ma boutique,
Marié, bête, matinal,
Attendant venir la pratique
En lisant le National?