Morne chanson, morne refrain!
Ce que nous avons fait la veille,
Nous le ferons le lendemain:
Nous arpenterons sans mystère
Toujours les mêmes boulevards,
Et la même Cité Bergère,
Avec le même pont des Arts.
Combattant la même paresse,
Le matin nous retrouvera;
Et, le soir, la même maîtresse
Sur sa gorge nous vieillira.
Nos cœurs, tristes petites bêtes,
Ne battront qu'une ou deux fois l'an;
Et, dans quinze ans, nos pauvres têtes…
Mais où sont les neiges d'antan?
Car, grâce au public insensible,
Pour nous, vainement révoltés,
La lutte se fait impossible
Avec les faiseurs effrontés.
Et lorsque ainsi l'on nous dispute
La renommée avec le pain,
On s'étonne que dans la lutte
Notre accent devienne hautain.
Que pour tant de stupides œuvres
Nous n'ayons égard ni bon ton,
Et que pour la chasse aux couleuvres
Il nous suffise d'un bâton.
Ah! race de marchands du Temple,
Mais du Temple infect de Paris,
Qu'un de vous sans rougir contemple
Notre légion d'appauvris:
Nos poëmes qui trop tard règnent
Veulent un rude enfantement,
Car nos flancs sont des flancs qui saignent.
Toute ode suppose un tourment.
Eh bien! donc, tombons sans murmure,
Tombons comme des orgueilleux!
La conscience, c'est l'armure
Des poëtes, ces derniers preux!