— Dans quelle direction ?
— Vers le fleuve.
— Pas du côté de la maison ?
— Non.
— Vous attendiez sans doute quelqu’un qui n’est pas venu ? demanda
miss Reilly.
Il la regarda sans répondre.
Poirot n’insista pas, mais interrogea de nouveau la jeune fille.
— Avez-vous vu autre chose, mademoiselle ?
— Oui. À proximité de la maison, j’ai remarqué la camionnette de
l’expédition rangée dans un wadi. Cela me parut plutôt bizarre. Alors, je vis
Mr Coleman, marchant la tête baissée, comme s’il cherchait quelque objet à terre.
— Attendez ! s’écria Mr Coleman, je…
Poirot l’interrompit d’un geste autoritaire :
— Patience. Lui avez-vous adressé la parole, miss Reilly ?
— Non, monsieur.
— Pourquoi ?
La jeune fille répondit lentement :
— Parce que de temps à autre il jetait autour de lui un regard furtif, tout à
fait désagréable. Je fis tourner mon cheval et m’éloignai. Je ne crois pas qu’il
m’ait vue. Je ne me suis pas approchée, et lui-même était trop absorbé dans ses
recherches.
Mr Coleman ne put résister à l’envie de se justifier.
— Écoutez-moi. Je puis vous donner une explication des plus plausibles
pour un acte qui, à vos yeux, paraît un peu louche. La veille, j’avais fourré un
magnifique sceau cylindrique dans la poche de ma veste et oubliai tout à fait de
l’apporter à la salle des antiquités. Plus tard, je m’aperçus que je ne l’avais plus
sur moi… J’avais dû le laisser tomber quelque part. Afin d’éviter des histoires, je
résolus de n’en point parler et de le chercher tout seul sur le chemin du chantier.
J’expédiai mes courses à Hassanieh, envoyai un walad faire quelques
commissions et retournai de bonne heure. Je rangeai la camionnette à l’abri des
regards et, pendant plus d’une heure, je fouillai le chemin dans tous les coins.
Peine perdue ! Enfin, je remontai dans ma voiture et rentrai à la maison. Tous
crurent que je venais directement d’Hassanieh.
— Et vous ne les avez pas détrompés ? s’enquit Poirot d’une voix suave.
— Étant donné les circonstances, je préférai m’abstenir.
— Il eût été plus simple d’avouer, à mon avis.
— Allons, allons, pourquoi ces complications ? Vous ne me prendrez pas en
défaut, tenez-vous-le pour dit. Je n’ai pas pénétré dans la cour et je vous défie de
trouver un témoin qui m’y ait vu.
— Cette question soulève, en effet quelques difficultés, dit Poirot. D’après le
témoignage des domestiques, personne n’est entré dans la cour. Mais à la
réflexion, cette déposition n’est pas complète. Ils ont juré qu’aucune personne
étrangère à la maison n’était entrée. On ne leur a pas demandé de préciser s’ils
avaient vu passer un membre de l’expédition.
— Questionnez-les encore ! dit Coleman. Je parie tout ce que vous voudrez
qu’aucun d’eux n’a vu Carey ou moi-même.
— Ah ! ce point ne manque, en effet, pas d’intérêt. Certes, ils auraient
remarqué un étranger, mais leur attention eût-elle été attirée par un membre de
l’expédition ? Le personnel circule à tout instant de la journée et les domestiques
finissent par ne plus s’apercevoir des allées et venues. Il est donc possible que
Mr Carey ou Mr Coleman ait franchi le seuil sans que les domestiques en gardent
le moindre souvenir.
— Quelle niaiserie !
Poirot reprit, imperturbable :
— Et de vous deux, Mr Carey est celui qui aurait le plus facilement passé
inaperçu. Mr Coleman étant parti pour Hassanieh en voiture, on s’attendait à le
voir revenir dans ce véhicule. Son entrée à pied aurait surpris les domestiques.
— Évidemment !
Richard Carey leva la tête et vrilla sur Poirot ses yeux d’un bleu profond.
— Monsieur Poirot, m’accuseriez-vous d’assassinat ?
Son extérieur demeurait calme, mais sa voix renfermait un ton menaçant.
Poirot inclina la tête.
— Pour le moment, je vous emmène tous faire un voyage… un voyage vers
la vérité. Tout d’abord, j’ai voulu démontrer un fait : tous les membres de
l’expédition, y compris l’infirmière, miss Leatheran, ont eu la possibilité de
commettre le meurtre. Je ne m’attarde pas pour le moment à considérer si
quelques-uns d’entre vous sont au-dessus de tout soupçon : cette question passe
au second plan.
« J’ai examiné pour chacun le moyen et l’occasion d’agir. Ensuite, le mobile.
J’en ai conclu que tous vous aviez un mobile suffisant !
— Oh ! protestai-je, pas moi ! Voyons, monsieur Poirot, je viens d’arriver
dans la maison !
— Eh bien ! ma sœur, n’était-ce pas précisément là ce que redoutait
Mrs Leidner ? Une personne étrangère venant du dehors ?
— Mais… moi… Le Dr Reilly me connaissait fort bien. C’est lui-même qui
m’a recommandée.
— Que savait-il de vous au juste ? Ce que vous lui avez raconté ! Ce n’est
pas la première fois que des imposteurs revêtent l’uniforme d’infirmière !
— Vous pouvez écrire à l’hôpital Saint-Christophe !
— Pour l’instant, veuillez garder le silence, ma sœur. Impossible de
poursuivre mon enquête si vous m’interrompez ainsi. Je ne dis pas que je vous
suspecte, mais qui me prouve que vous ne cachez pas une autre personnalité ?
Beaucoup d’hommes excellent à se déguiser en femmes. Qui sait si le jeune
William Bosner ne serait pas de ce nombre !