« Mais l’assassinat devient une habitude. Qui a tué tuera !
« Et le second meurtre mit l’assassin à ma merci.
« Pas un instant je ne perdis de vue que quelqu’un parmi vous me cachait ce
qu’il savait… concernant le meurtrier.
« En ce cas, cette personne courait un danger.
« J’entourai miss Leatheran d’une sollicitude particulière. Douée d’une
personnalité très marquée et d’un esprit curieux, je craignais qu’elle en apprît plus
qu’il n’en fallait pour sa propre sécurité.
« Comme vous le savez tous, un deuxième crime eut lieu. La victime ne fut
pas miss Leatheran, mais miss Johnson.
« Je me plais à croire que j’aurais trouvé le mot de l’énigme par mon propre
raisonnement, mais il n’en demeure pas moins certain que la mort tragique de
miss Johnson m’aida à la résoudre plus rapidement.
« D’abord, une personne suspecte fut du coup rayée de ma liste :
miss Johnson elle-même… car, pas un instant je n’admis l’hypothèse du suicide.
« Examinons, maintenant, les faits relatifs au deuxième assassinat.
« Premièrement : dimanche soir, miss Leatheran trouve miss Johnson en
larmes, et dans la soirée celle-ci brûle le fragment d’une lettre que l’infirmière
croit être de la même écriture que les lettres anonymes.
« Deuxièmement : le soir précédant sa mort, miss Johnson est surprise par
miss Leatheran sur la terrasse dans un état qualifié par miss Leatheran
d’« indicible horreur ». Questionnée par l’infirmière, elle répond : « J’ai vu
comment on pouvait entrer du dehors… sans se faire voir. » Elle n’en dit pas
davantage. Le père Lavigny traverse la cour en ce moment et Mr Reiter se tient
sur le seuil de l’atelier de photographie.
« Troisièmement : miss Johnson, sur le point de rendre l’âme, ne peut
articuler que deux mots… la fenêtre… la fenêtre…
Tels sont les faits, et voici les problèmes à résoudre.
« Qui a écrit les lettres ?
« Qu’a vu miss Johnson de la terrasse ?
« Qu’a-t-elle voulu dire par : « La fenêtre… la fenêtre ? »
« Eh bien ! envisageons la deuxième question comme étant la plus simple.
En compagnie de miss Leatheran, je montai sur la terrasse et me plaçai à l’endroit
même où se tenait miss Johnson. De là, elle voyait la cour, la porte voûtée, le côté
nord de la maison et deux membres du personnel. Ses paroles visaient-elles
Mr Reiter ou le père Lavigny ?
« Presque aussitôt, une explication plausible jaillit dans mon esprit. Si un
étranger avait pénétré ici de l’extérieur, ce ne pouvait être que sous un
déguisement. Et il n’existait qu’une seule personne dont l’accoutrement se prêtait
à une telle tactique : le père Lavigny ! Coiffé d’un casque colonial, portant des
lunettes noires pour le préserver du soleil, une barbe noire et une longue robe de
bure, un inconnu pouvait s’introduire par la porte sans éveiller l’attention des
domestiques.
« Était-ce cela qu’avait voulu dire miss Johnson ? Ou bien, allant plus loin,
avait-elle deviné que le père Lavigny n’était qu’un imposteur sous l’habit
monastique ?
« Avec tout ce que je savais déjà sur le compte du père Lavigny, Raoul
Menier était l’assassin. Il a tué Mrs Leidner pour la réduire au silence. Ensuite,
une autre personne lui laisse entendre qu’elle a pénétré son secret : celle-là aussi
doit disparaître.
« Ainsi tout s’explique ! Le second meurtre, la fuite du père Lavigny, sans
son froc ni sa barbe (lui et son complice se rendent en Syrie munis de passeports
en règle, comme deux honnêtes voyageurs de commerce), et la découverte de la
meule tachée de sang sous le lit de miss Johnson.
« Comme je vous le dis, j’étais presque satisfait… mais une solution parfaite
doit tout expliquer… et ce n’était pas le cas.
« Par exemple, elle n’explique pas les paroles de miss Johnson : « La
fenêtre, la fenêtre », au moment de mourir, ni sa crise de larmes, ni son attitude
énigmatique sur la terrasse et son refus de révéler à miss Leatheran ce qu’elle
soupçonnait ou savait.
« Cette solution réglait les faits superficiels, mais laissait dans l’ombre la
question psychologique.
« Et comme je me tenais sur la terrasse, ruminant ces trois points : les lettres,
la terrasse, la fenêtre, je vis… comme miss Johnson ava