L'école des maris
Molière
丈夫学堂
莫里哀
ACTE III
Scène V
ARISTE, SGANARELLE.
ARISTE
Qui frappe ? Ah ! ah ! que voulez-vous, mon frère ?
SGANARELLE
Venez, beau directeur, suranné damoiseau :
On veut vous faire voir quelque chose de beau.
ARISTE
Comment ?
SGANARELLE
Je vous apporte une bonne nouvelle.
ARISTE
Quoi ?
SGANARELLE
Votre Léonor, où, je vous prie, est-elle ?
ARISTE
Pourquoi cette demande ? Elle est, comme je crois,
Au bal chez son amie.
SGANARELLE
Eh ! oui, oui ; suivez-moi,
Vous verrez à quel bal la donzelle est allée.
ARISTE
Que voulez-vous conter ?
SGANARELLE
Vous l'avez bien stylée :
"Il n'est pas bon de vivre en sévère censeur ;
On gagne les esprits par beaucoup de douceur ;
Et les soins défiants, les verrous et les grilles
Ne font pas la vertu des femmes ni des filles ;
Nous les portons au mal par tant d'austérité,
Et leur sexe demande un peu de liberté."
Vraiment, elle en a pris tout son soûl, la rusée,
Et la vertu chez elle est fort humanisée.
ARISTE
Où veut donc aboutir un pareil entretien ?
SGANARELLE
Allez, mon frère aîné, cela vous sied fort bien,
Et je ne voudrais pas pour vingt bonnes pistoles
Que vous n'eussiez ce fruit de vos maximes folles.
On voit ce qu'en deux soeurs nos leçons ont produit :
L'une fuit les galants, et l'autre les poursuit.
ARISTE
Si vous ne me rendez cette énigme plus claire...
SGANARELLE
L'énigme est que son bal est chez Monsieur Valère ;
Que de nuit je l'ai vue y conduire ses pas,
Et qu'à l'heure présente elle est entre ses bras.
ARISTE
Qui ?
SGANARELLE
Léonor.
ARISTE
Cessons de railler, je vous prie.
SGANARELLE
Je raille ?... Il est fort bon avec sa raillerie !
Pauvre esprit, je vous dis, et vous redis encor
Que Valère chez lui tient votre Léonor,
Et qu'ils s'étaient promis une foi mutuelle
Avant qu'il eût songé de poursuivre Isabelle.
ARISTE
Ce discours d'apparence est si fort dépourvu...
SGANARELLE
Il ne le croira pas encore en l'ayant vu.
J'enrage. Par ma foi, l'âge ne sert de guère
Quand on n'a pas cela.
ARISTE
Quoi ? voulez-vous, mon frère... ?
SGANARELLE
Mon Dieu, je ne veux rien. Suivez-moi seulement :
Votre esprit tout à l'heure aura contentement ;
Vous verrez si j'impose, et si leur foi donnée
N'avait pas joint leurs cours depuis plus d'une année.
ARISTE
L'apparence qu'ainsi, sans m'en faire avertir,
À cet engagement elle eût pu consentir,
Moi, qui dans toute chose ai, depuis son enfance,
Montré toujours pour elle entière complaisance,
Et qui cent fois ai fait des protestations
De ne jamais gêner ses inclinations ?
SGANARELLE
Enfin vos propres yeux jugeront de l'affaire.
J'ai fait venir déjà commissaire et notaire :
Nous avons intérêt que l'hymen prétendu
Répare sur-le-champ l'honneur qu'elle a perdu ;
Car je ne pense pas que vous soyez si lâche,
De vouloir l'épouser avecque cette tache,
Si vous n'avez encor quelques raisonnements
Pour vous mettre au-dessus de tous les bernements.
ARISTE
Moi je n'aurai jamais cette faiblesse extrême
De vouloir posséder un cœur malgré lui-même.
Mais je ne saurais croire enfin...
SGANARELLE
Que de discours !
Allons : ce procès-là continuerait toujours.