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VII CLUBS DE FEMMES

时间:2020-09-30来源:互联网 进入法语论坛
核心提示:Aller au club est en train de devenir pour les femmes une occupation naturelle et lgitime. Les avantages de libert, de c
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 Aller au club est en train de devenir pour les femmes une occupation naturelle et légitime. Les avantages de liberté, de confort et d'élégance que présente le club masculin n'étaient pas pour échapper aux femmes avancées, comme elles s'intitulent fièrement, qui veulent la vie plus douce et plus facile pour elles et pour les sœurs, et qui ambitionnent la possession des mêmes privilèges dont jouissent les hommes. Comme l'œuvre de la revendication[Pg 104] sociale de la femme a pour porte-voix en Angleterre des femmes riches et irréprochables, haut placées dans le monde, elle a pris un caractère spécial et s'est élevée au-dessus de ce quelque chose qui, en France par exemple, ressemble beaucoup plus à la clameur de l'envie qu'à l'appel sérieux vers une égale justice et qui a revêtu par ses manifestations saugrenues un caractère presque burlesque. En Angleterre, au contraire, tous les efforts sont pratiques et efficaces; le jour où des femmes ont désiré secouer le joug qui les empêchait d'avoir un club, elles s'y sont prises de façon à réussir, et les clubs de femmes à Londres, déjà florissants et appelés à un avenir de succès, ont un cachet parfaitement[Pg 105] distingué et rassurant, ce qui n'empêche nullement un grand nombre de leurs membres d'avoir des idées parfois profondément subversives.—Nous prenons un club typique, celui des Pioneers (Pionniers), dont l'emblème peu modeste est une hache, avec laquelle ces intrépides combattantes se proposent de défricher l'épaisse forêt du préjugé. Leur œuvre n'est pas mince, mais il ne faut pas douter que malgré leur nombre encore restreint, elles n'arrivent à faire une bonne entaille. L'esprit qui anime ces deux cent quatre-vingts femmes, de grades et de conditions si variés, depuis la dame d'honneur d'une princesse de la maison royale jusqu'à l'actrice, est exprimé par l'inscription en[Pg 106] grosses lettres, placée au-dessus de la grande porte de leur très joli et très élégant salon.—Voici ce qu'on lit: Ils disent. Qu'est-ce qu'ils disent? Laissez-les dire.
 
Tout d'un trait, elles sont parvenues à ce point unique, absolu de liberté, qui consiste à s'affranchir de l'opinion d'autrui. Dans un pays qui, il y a vingt ans, était sous la férule de l'imaginaire Mrs Grundy, personnage représentatif de tous les préjugés, de toutes les convenances, il faut avouer que c'est un beau progrès, et ce progrès est réfléchi. Ces deux cent quatre-vingts femmes, qui en somme sont une élite, ont pour toujours répudié le rôle d'holocauste que la société[Pg 107] octroie depuis des siècles si généreusement à leur sexe, et ayant connu le bienfait de s'appartenir, elles sont avides de procurer l'affranchissement de leurs sœurs pauvres et opprimées. L'apostolat est naturel au caractère anglais et convient très bien à l'aplomb qu'ont généralement les femmes de cette race. Pour la plupart (les catholiques étant en minorité) elles ont eu, dès leur enfance, l'habitude de la discussion religieuse et du prosélytisme individuel, celle aussi de se former une opinion, et un point d'appui absolu leur a fait défaut à toutes. La véritable puissance occulte en Angleterre a été pendant longtemps et surtout pendant ce siècle-ci, l'hypocrisie officielle; on la respectait, comme en pays vraiment catholique on respecte[Pg 108] l'Église.—Aujourd'hui on se tient dans la lumière, chacun pense et agit suivant son inspiration. Dire que cet état de choses ne produit pas d'extraordinaires confusions serait contraire à la vérité, mais pourtant au milieu de ce chaos d'œuvres multiples surgies d'imaginations exaltées, il en est une qui est l'œuvre maîtresse, celle à laquelle un nombre considérable de grandes dames consacrent leur temps, leur fortune et leur influence c'est celle de la Tempérance, et elle est vitale. On ne pourra jamais exagérer les ravages de l'ivrognerie en Angleterre, ni ses conséquences parmi les femmes de la classe pauvre, non seulement par le fait qu'elles s'y adonnent et y perdent tout sentiment humain, mais par les abominables[Pg 109] traitements qu'elle leur procure de la part des hommes, maris ou amants, les violences auxquelles toutes ces malheureuses sont soumises sont atroces, la fréquence des visages tuméfiés est effrayante, et aussi longtemps qu'il en sera ainsi, tous les autres efforts seront vains.—Ce n'est donc pas uniquement pour se reposer, lire et fumer que les membres des clubs de femmes se réunissent; toutes les misères de la vie des femmes sont librement discutées, et pour la première fois les personnes intéressées ont voix à la question.—Il est très évident que si toutes les femmes étaient mariées, tous les mariages fortunés, le club féminin serait un non-sens, mais, étant données les ordinaires conditions de l'existence[Pg 110] humaine, il remplit une lacune, et pour un grand nombre de femmes de cœur et d'intelligence, il supplée à un besoin véritable. Dans les pays catholiques—car il faut toujours en revenir là, pour bien comprendre les mœurs anglaises,—l'Église avec la multiplicité de ses œuvres, avec ses couvents qui répondent aux aspirations les plus diverses, offre un débouché aux natures que les lois moyennes de la vie ne satisfont pas. En pays protestant, des voies particulières sont cherchées par ces natures d'exception, et il en résulte de biens singuliers mélanges de philanthropie et de mondanité.
 
Certes, le type de la femme militante et masculine n'est pas sympathique, il ne[Pg 111] s'ensuit pas qu'il ne soit pas respectable.
 
La présidente et fondatrice du Pioneer Club incarne tout à fait ce type; elle est riche, elle est mariée, et sa vie est un mouvement perpétuel. Comme en Angleterre changer de nom est une formalité sans conséquence, elle a commencé, en héritant de son père, par reprendre le sien propre, qui est fort ancien, elle a ensuite fermé tous les cabarets situés sur ses propriétés, et les a remplacés par des cafés de tempérance: orateur, elle parle continuellement et à ses tenanciers et en public; dans la vie privée, elle joue la comédie avec passion; elle est en outre musicienne, collectionneuse de curiosités, enfin son existence est multiple. Très populaire, très influente, elle est toute[Pg 112] désignée pour être une des premières femmes qui siégera au Parlement et, soyez-en sûr, elle ne doute pas d'y prendre part un jour: tout cela est souligné par un habillement et une coiffure qui donnent à son portrait en buste l'exacte apparence d'un homme,—et, on a beau dire, ceci est déplaisant.
 
J'insiste sur l'importance de ces clubs de femmes, car je suis absolument persuadé qu'ils auront une influence énorme sur la formation de la société de l'avenir et qu'avec la lassitude presque générale de servage familial et domestique, les difficultés toujours croissantes de la vie matérielle, en même temps que le développement de besoins factices, ils sont appelés à jouer un rôle très considérable.
 
[Pg 113]
 
Ce Pioneer Club est présentement dans une maison tranquille, à deux pas de Bond street; toutes les pièces sont claires et décorées avec le goût délicat qui prévaut actuellement en Angleterre: le principal salon a des murs jaune pâle et porte une frise de grosses fleurs d'iris. Tout le panneau du milieu est occupé par un tableau bien caractéristique. Dans une espèce de mer de feu s'abîme, les yeux clos, une femme couchée, au-dessus d'elle, s'élevant du mouvement de la Liberté sur la colonne du 29 juillet, une autre femme l'étoile au front surgit. Au premier abord cette composition énigmatique étonne; en voici la glose. La femme qui disparaît, c'est la femme du passé, l'autre c'est la femme de l'avenir! Il faut[Pg 114] ajouter que l'une et l'autre sont dans le costume de notre première mère!
 
Les aspirations supérieures qui occupent l'esprit de certains membres du cercle ne les rendent évidemment nullement indifférentes aux choses extérieures. Au premier étage se trouvent deux salons, le vestiaire et le fumoir: celui-ci a été dissimulé avec soin, car, sur ce point, le courage moral manque encore un peu, pourtant cela n'a pas empêché de l'installer avec les divans bas les plus voluptueux et les vastes coussins les plus moelleux: mais à cette fausse honte, à propos de ce fumoir, on retrouve bien l'Anglaise. Au second étage, on trouve la Chambre du silence, où les membres peuvent aller lire et travailler; une inscription au-dessous[Pg 115] de la glace rappelle que le silence est d'or; du reste, les devises sont en grand honneur dans cette maison; celle de la salle à manger m'a paru bien singulière: «Aime-toi en dernier.» On ne dira pas qu'on pousse à la consommation; enfin même saint Augustin a été mis à contribution et exhorte les membres du Club à avoir «dans les grandes choses l'unité, dans les petites la liberté, et dans toutes choses la charité».
 
Voilà qui est bien, et les Pioneers ne se tromperont pas beaucoup si elles pratiquent tous ces excellents conseils, qu'une sage prévision leur remet sans cesse devant les yeux. Pour être indépendantes, ces dames n'ont pas répudié la société du[Pg 116] sexe fort, et le mardi les hommes peuvent être invités de même que, dans un grand nombre de clubs d'hommes, on a le droit maintenant, à certains jours, de faire cette même politesse aux femmes; enfin il existe un club mixte (l'Albermale). Les sujets les plus divers sont à l'ordre du jour au club des Pioneers; une salle est réservée pour les conférences, et des coteries à noms variés s'y succèdent; on parle beaucoup, et il y a là une soupape qui, au fond, est sans inconvénient, tandis que se sentir rattachées à un groupe est, pour nombre d'isolées, un bienfait inappréciable. Aujourd'hui, en Angleterre, les femmes s'occupent hardiment des questions qui les regardent, et se sont avisées par exemple, que, sur le[Pg 117] mariage et la prostitution, elles en avaient peut-être autant à dire que les hommes; même pour certaine d'entre elles, les deux sont synonymes, et, à l'heure qu'il est, une romancière, dont les œuvres sont lues et commentées avec passion, aborde hardiment ces sujets sous leurs aspects les plus réalistes; elle est, au fond, la voix qui a crié tout haut ce que des milliers de femmes ont pensé sur la révoltante inégalité du mariage, non seulement au point de vue abstrait de la soumission et de l'obéissance morale, mais au point de vue matériel, en livrant, sans la moindre hésitation, la pureté au vice. Madame Sarah Grand a osé dire qu'il y avait à ce sujet une cécité morale chez l'homme et chez la société en général; elle l'a dit[Pg 118] avec les longueurs et les répétitions qui plaisent au public anglais; elle l'a dit avec exagération, mais néanmoins, c'est une vérité qu'elle a proclamée, et les honteuses servitudes physiques qui peuvent être imposées à la plus chaste des vierges dès qu'elle est épouse ont été, par cette courageuse femme, dénoncées pour ce qu'elles sont: des abominations.
 
Il se fait un grand réveil dans le cœur de la femme anglaise, et il y surgit une pitié toute nouvelle; je ne suis pas tout à fait sûr qu'il n'y ait pas quelque chose de morbide dans ce besoin de s'occuper de plaies sociales, et surtout de le faire aussi bruyamment, mais en même temps nul ne peut contester l'urgence à apporter[Pg 119] des remèdes au désastreux état de dégradation où naissent, vivent et meurent tant de femmes; la pensée de leurs souffrances trouble celles qui ne souffrent pas, et les bonnes volontés se lèvent de tous côtés.
 
Les femmes ont voulu tout voir et connaître; elles se font journalistes, et en cette qualité ne reculent devant aucune épreuve. En voici une qui a vingt-quatre ans, avenante de visage, elle est veuve et fait partie de l'état-major de l'une des feuilles les mieux informées de Londres; on lui demande d'écrire un article sur les femmes qui vendent des fleurs sur la voie publique. Qu'est-ce qu'elle fait? elle revêt leur costume, et se tient deux jours durant, un évent devant elle, au coin de Piccadilly,[Pg 120] offrant des bouquets, et ne reculant devant aucun colloque—puis, suffisamment édifiée, elle compose son article, et reçoit les chaleureuses félicitations de son directeur; et des épreuves de ce genre, elle les a multipliées: elle a couché au Work-House, elle ne se dérobe devant rien, car elle s'est passionnée pour sa besogne; chez elle, comme chez la femme écrivain que je citais, comme chez les femmes qui haranguent en public, la modestie féminine a totalement disparu et ce n'est pas de l'impudeur, c'est plutôt, il me semble, comme un endurcissement d'épiderme; elles ne perçoivent plus les sensations qui auraient révolté des créatures plus délicates; le but est devenu la grande chose, et si on attrape un peu de[Pg 121] boue pour l'atteindre, il n'y a qu'à se laver en arrivant; la timidité et l'enfantillage ont perdu tous leurs droits séculaires; on marche rapidement à un état social où la femme ne se trouvera plus tenue de rendre compte de sa vie privée à qui que ce soit, et revendiquera sur ce point la liberté dont jouissent les hommes. En fait, les réputations se ménagent surtout en vue du mariage; dès que le mariage devient indifférent, il ne reste plus que le souci de la réalité, dont la connaissance suffit aux sincères, et rien du tout pour les autres.
 
Voici par exemple deux familles composées de femmes qui donneront un échantillon de la façon dont s'entend la[Pg 122] vie aujourd'hui. Dans la première, la mère est veuve d'un professeur à Cambridge, c'est-à-dire tout ce qu'il y a de plus honorable; elle a quatre filles dont l'aînée a trente ans, toutes cinq possèdent l'indépendance matérielle; la mère, déjà âgée, a des opinions politiques très avancées et parle continuellement dans les réunios publiques, elle vit seule; la fille aînée, qui est journaliste, habite un appartement de garçon et possède toute l'indépendance d'un jeune célibataire, elle est intelligente, heureuse et irréprochable; la seconde s'est donnée aux hautes études et professe l'histoire à Girton; la troisième, a fondé une entreprise agricole afin de voir s'il ne serait pas possible de faire gagner la vie aux femmes comme jardinières,[Pg 123] et déjà cette idée a grand succès et paraît très pratique à l'application; la quatrième enfin est sculpteur; chacune vit chez soi pour soi et, il faut lâcher le mot, en parfaite égoïste, mais c'est la note.
 
Une autre famille, riche aussi et du plus respectable milieu compte quatre femmes: la mère, qui garde le foyer selon les humbles et modestes traditions d'autrefois; l'aînée des filles est matron (supérieure) dans un hôpital, la seconde consacre son temps et son argent aux œuvres de miséricorde, et la troisième, jolie, gaie, charmante, va avec une hardiesse sainte, toute seule dans les plus bas quartiers de Londres, afin de s'occuper des enfants des écoles; et le soir, l'hiver, cette fille de vingt-six ans, qui est charmante,[Pg 124] je le répète, descend dans les rues où l'on peut tout craindre, et les traverse sans peur, pour aider à donner aux plus déshérités des déshérités des soirées heureuses, car c'est une œuvre, aller amuser, occuper, tous ces petits dont la vie n'est qu'une lutte douloureuse.
 
Eh bien, il y a dans ces mœurs quelque chose d'anormal et cette façon purement personnelle de vivre est fausse en son principe; cet éparpillement de tant de forces et de volontés détruisant la famille demeure mauvais, et je crois, pour ma part, que ces sept femmes, toutes évidemment de trempe morale supérieure, seraient plus utiles, même socialement, en fondant une famille, en transmettant leur courage et leur énergie, en fortifiant[Pg 125] un cœur d'homme, qu'en mettant ainsi seules la main à la charrue. Mais, pour le moment, il n'y a pas à réagir contre ce mouvement, l'impulsion est donnée et paraît irrésistible. L'obscurcissement de la notion de devoir, ou plutôt la transposition de cette notion, produit chez les natures faibles des résultats singuliers; les femmes, pour gagner leur vie, adoptent les plus surprenants métiers; ainsi il existe parmi les dames (ladies) des détectives féminins; par exemple, une veuve ornée d'un nom connu et authentique voyagera sur le continent, et se trouvera par hasard suivre les pas de quelque couple en rupture de ban: elle les épie tout simplement pour le compte d'une agence, et son témoignage sera accablant[Pg 126] devant la cour du divorce et je suis presque convaincu que celle qui exerce ce métier n'en a pas honte, toute espèce de réticence sur le sujet de gagner sa vie étant passée de mode.
 
Voici un fait dont je garantis l'authenticité et qui donnera la note de l'esprit qui règne actuellement dans la société anglaise. Une dame distinguée s'est faite modiste, cette circonstance devient très ordinaire; une des princesses fille de la reine va chez elle, essaye un chapeau d'abord, l'embrasse ensuite en amie, et lui demande pourquoi elle ne vient plus aux «Drawing rooms». L'autre s'excuse de la profession qu'elle a adoptée. «—Pas du tout, répond la princesse, maman aime beaucoup les personnes comme ça.» Et[Pg 127] elle ira, et elle réalisera le lendemain de forts bénéfices sur ses dernières nouveautés, surtout si elle a la prévoyance de fermer au moment voulu «pour cause de «Drawing rooms».
 
L'Anglaise contemporaine ne ressemble en rien à ce type convenu et accepté cependant, de la femme dont l'existence s'écoule dans le mystère du home; elle est au contraire, par excellence, la femme du dehors; beaucoup plus, infiniment plus que la Française, dont en Angleterre l'infériorité sous ce rapport particulier est un article de foi! Voyez Londres, le matin n'y existe pas: le matin, avec ses heures sacrées pour le plus grand nombre de Parisiennes; combien peu quittent[Pg 128] jamais leur intérieur à ce moment de la journée, et celles qui le font y mettent une nuance; d'un consentement général, ces heures-là sont celles de l'incognito mondain; la vie factice pour la majorité des femmes n'a pas encore commencé; il y a une halte consentie et voulue entre hier et aujourd'hui. A Londres, au contraire, dès dix heures et demie la vie bat son plein, les voitures de maître remplissent Bond street et Regent Street, les valets de pied sont à leur poste, les femmes harnachées comme elles le seront à quatre heures; les rues pleines de piétons, hommes et femmes de la classe moyenne; celles qui en France ne songeraient pas à flâner à pareille heure sont à bayer devant les immenses étalages qui[Pg 129] donnent l'impression d'une liquidation perpétuelle; tout ce monde est dehors pour un temps indéterminé. Il y a chez nous, surtout chez la femme, une sorte de probité morale à manger à certaines heures et à y manger certaines choses; on ne peut en donner aucune raison sérieusement valable, néanmoins j'imagine que ce détail si insignifiant en lui-même a sa valeur et son importance. Il existe pour l'honnête femme comme une pudeur à prendre ses repas chez elle et à heures réglées; l'Anglaise ne connaît rien de tel, et elle se nourrit de la façon la plus incohérente. Tous les pâtissiers-restaurants, toutes les crémeries (dairies), qui sont une spécialité londonienne, sont bondés de midi à deux heures. On en[Pg 130] arrive à se demander si personne mange jamais chez soi, et il est drôle d'observer ce que tous ces gens graves mangent.
 
La manie du recherché et du maniéré éclate même là; des choses ordinaires sont triturées de façon à avoir un nom sonore et une apparence distinguée: ce sont des petits pâtés, ce sont des rissolés, ce sont des glaces! Quelle est la bourgeoise qui songerait à midi à se nourrir d'une glace? Ici vous voyez une jeune personne posée, une travailleuse évidemment, entrer boire son verre de lait et prendre une glace.—C'est peut-être absurde mais il me semble que cette facilité à manger hors de chez soi et au hasard du caprice est un signe de relâchement moral et très contraire au génie[Pg 131] même de la femme, qui est de son élément naturel casanier et conservateur. Cette manie féminine a créé à Londres des restaurants ad hoc et surtout des «Tea rooms» bien typiques; il y en a deux dans Bond Street qui sont assurément des modèles du genre et de cette confusion des choses qui domine présentement dans l'esprit anglais.
 
L'une de ces «Tea rooms» est au premier étage et se compose de deux pièces décorées avec un goût parfait (il faut savoir que la propriétaire est une artiste dont les toiles sont exposées aux murs). Ces murs sont peints d'un jaune orangé très doux, avec une grosse frise de fleurs de convention, sur les vitres des fenêtres[Pg 132] sont tendus des rideaux de soie molle de même nuance, il entre un jour coloré, une fine natte d'un blond ardent s'étend sous les pieds, çà et là sont posés des vases de couleurs pâles d'où s'élancent de grandes fleurs délicates à longues tiges, des pans de broderies d'art alternent avec les tableaux ou font portières, un balustre de bois découpé surmonté d'arceaux légers forme un recoin charmant et presque mystérieux. Au milieu de tout cela sont posées les plus mignonnes petites tables couvertes d'un linge de fantaisie en harmonie avec le reste; de jolis sièges cannés avec de gros coussins de soie invitent au repos et à la lecture des journaux féminins qui sont partout. Dans un coin, un vieux bureau drapé d'un pan de broderie[Pg 133] sert de comptoir. La seconde pièce est d'une tonalité gris vert avec les mêmes raffinements, les mêmes spécimens de broderies dont il y a un dépôt pour la vente. Il règne un silence quasi religieux; le service est fait par des espèces de bergères habillées de mauve pâle avec des guimpes blanches plissées, des cheveux d'or et un air de candeur; entre temps, elles brodent sur des tissus fins, avec des soies couleur d'arc-en-ciel. C'est autre chose que le légendaire reprisage de torchons, classique chez nos meilleurs pâtissiers. L'autre «Tea room» est située dans une boutique que des rideaux de soie vert mourant séparent de la rue, et, comme on entre de côté, la «privacy» est complète. C'est le même ordre de décoration,[Pg 134] il y a aussi des tableaux, aussi des broderies, aussi des fleurs, mais, raffinement particulier, par séries, et selon la saison; sur toutes les tables sont de grands éventails chinois, et un petit salon du fond évoque dans mon esprit l'idée d'une maison de thé japonaise; toutes ces choses sont claires, froides et voluptueuses. Ici la divinité qui sert le thé est habillée par-dessus sa robe d'un immense tablier de mousseline blanche, dont l'empiècement, les longues manches et la ceinture flottante donnent l'impression d'une vraie robe; les cheveux sont franchement roux. Elle vous apporte avec un air dédaigneux et grave le petit plateau délicatement préparé, puis se rejette sur un fauteuil d'osier pour reprendre la lecture de son[Pg 135] magazine avec le mépris d'un pur esprit pour les matérialités de l'existence. Du reste, ni dans l'une ni dans l'autre de ces «Tea rooms» le côté nourriture n'apparaît, il reste pudiquement à la cantonade, de délicats menus sont la seule suggestion à la gourmandise. Tout cela est très élégant et charmant, je le veux bien; mais nonobstant je ne crois pas que ces choses soient d'une bonne influence ou un signe de santé morale chez la femme, tout cela est factice et répond à des besoins factices. Comment il peut y avoir un côté rémunérateur à ces entreprises, demeure un problème pour moi? La consommation matérielle de nourriture paraît s'accomplir avec une sorte de mystère, comme une chose à peine tolérée![Pg 136] Cette attitude de réserve spéciale se retrouve dans tous les endroits où les femmes débitent la nourriture. Ainsi j'ai vu dans une «Dairy[2]» de Holborn, très fréquentée par les hommes de loi, cette même attitude pimbêche chez des petites servantes en robe noire, bonnet blanc et tablier à bavettes; elles ont toutes des têtes de repas de funérailles (on a envie de les pincer pour les faire crier). Chez les pastry cook, vieux jeu (où la décoration des murs est d'un goût ignoble par exemple), des jeunes personnes en laine sombre et nu-tête planent aussi avec des airs de femmes incomprises; la bonne et honnête simplicité leur fait également défaut, et ce manque absolu de simplicité est vraiment[Pg 137] leur trait marquant. Mais aussi comment peut-on être naturelle et être une dame, une artiste et une marchande tout à la fois! Que peuvent être dans la vie ordinaire, privées celles-là de leurs robes mauves, ces autres de leur vêture d'innocence, ces demoiselles qui portent des plateaux avec condescendance? elles doivent être ce que les petites filles expriment par un mot énergique: des chipies.
 
[2]Crémerie.
 
Le besoin de s'affranchir dans la plus grande mesure possible des soucis matériels a produit des combinaisons réunissant, il faut l'avouer, d'incontestables et extraordinaires avantages: tels sont les béguinages laïques dont il y a à Londres deux ou trois spécimens. Dans un bon quartier on a bâti un grand immeuble[Pg 138] de briques rouges; toutes les boiseries des fenêtres sont peintes en vert, comme la porte à laquelle on accède par quelques marches bien blanches. L'aspect est chaud et gai, et le souci de l'agrément des yeux a été consulté, comme pour tout maintenant; un large vestibule mène à un magnifique escalier de pierre; à chaque étage sont des appartements de deux, trois ou quatre pièces combinés diversement et avec une extrême commodité, parfaitement clos, ayant à chaque porte leur boîte à lettres où le facteur lui-même dépose la correspondance; ces petits appartements se louent vides trois, quatre ou cinq livres par mois. Il faut naturellement prouver sa parfaite honorabilité pour être acceptée comme locataire, mais[Pg 139] ce point une fois admis, le problème de la vie aisée et bon marché est résolu; on a une indépendance supérieure à celle des habitants d'une maison à Paris, car bien qu'il y ait un concierge, avec lequel une sonnerie électrique vous met en communication jour et nuit, chaque habitante possède une clef de la rue. Les repas se prennent dans une salle à manger commune, et on peut dîner pour un shilling, si l'on veut; tous les prix soigneusement établis sont d'une modération extraordinaire. Une salle à manger particulière est à la disposition des locataires qui peuvent y recevoir et traiter leurs amis. Des femmes de ménage respectables sont procurées par la direction. Tout a été prévu, et certes on ne peut[Pg 140] coter trop haut les bienfaits d'arrangements semblables. L'entreprise est absolument rémunératrice puisqu'elle donne cinq pour cent du capital. Le repos, la liberté d'esprit qu'elle procure à des femmes isolées explique son grand succès, c'est du bon communisme et de la seule sorte peut-être qui puisse s'étendre et s'établir. Ici, où les femmes se marient sans dot, où la prévoyance est moindre, il y en a un bien plus grand nombre qui, nées de parents très aisés ou devenues veuves, se trouvent réduites à des revenus illusoires s'il s'agit de maintenir quelque décor extérieur. La classe qui autrefois aurait été s'enterrer dans la tranquillité végétative d'un petit village perdu trouve en somme un meilleur compte, avec les[Pg 141] tramways, les stores (sociétés coopératives) à vivre dans un grand centre; le désir aussi d'avoir une carrière les y porte. Une femme, que son expérience et sa position mettent en rapport avec la classe de jeunes filles dont il est ici question, me dit qu'il en vient à tout moment la consulter sur le choix d'une carrière, car l'opportunité n'est plus discutée; aussi il en surgit tous les jours de nouvelles, et les journaux féminins sont pleins d'interrogations saugrenues et touchantes, sur la possibilité de gagner sa vie en faisant telle ou telle chose. Une sorte d'impatience du joug est partout, la femme résolument se dégage des solidarités, développe son propre égoïsme et coupe de plus en plus les amarres qui la retenaient à poste fixe;[Pg 142] tout cela ne peut se faire qu'au détriment des sentiments profonds, de ces sentiments qui n'ont d'autre racine que l'honneur familial entendu d'une certaine façon; le sentiment qui, par exemple, fait payer par un père les dettes de son fils, ou par un fils celles de son père. Je ne crois pas que l'affranchissement moral de beaucoup de femmes puisse être un bien pour la société en général; et le chemin parcouru en peu d'années est déjà tellement prodigieux qu'il fait peur pour l'avenir.
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