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PREFACE

时间:2020-09-30来源:互联网 进入法语论坛
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 Les pages qu'on va lire ont paru dans la Vie parisienne. Je suis persuadé qu'elles y ont été fort goûtées, car on y trouve, à chaque ligne, cette touche élégante et légère qui a fait et fait encore la grâce de ce charmant journal. Elles portaient alors la signature de Bénédick, et aucun nom n'était mieux choisi pour l'écrivain qui se propose de pénétrer les fantasques et mystérieux vouloirs de la femme. Aujourd'hui Bénédick disparaît et rend à Brada ce qui lui appartient. Ce nom, popularisé par des œuvres romanesques, discrètement[Pg ii] aristocratiques et délicatement morales, attirera aux Notes sur Londres un nouveau public. J'ose prédire que, sous la forme du volume, elles vont prendre une signification nouvelle et une valeur d'ensemble qui, jusqu'ici, n'avait pu être soupçonnée.
 
Comme les lecteurs des articles, les lecteurs du volume apprécieront les mille impressions dont il est plein: les fragments de vie populaire, de vie mondaine ou de vie intime, aperçus çà et là, les types humains saisis dans la foule et notés au passage, les paysages londoniens, esquissés d'un crayon rapide mais fin et sûr, avec un sentiment si original et si juste que ceux qui les voient tous les jours croient les comprendre et les sentir pour la première fois. Mais le charme, la curiosité du livre, le thème favori qui[Pg iii] revient, de page en page, c'est l'étude d'un phénomène contemporain fort étrange qui à l'heure actuelle révolutionne l'Angleterre de fond en comble, tout simplement. Phénomène si nouveau qu'il n'a pas encore de nom et que, si vous voulez, nous allons en inventer un, séance tenante. Dirons-nous que c'est la déféminisation, ou la masculinisation, ou la garçonnification de la femme anglaise? Le dernier de ces trois barbarismes est celui qui me sourit le plus. Nous dirons donc que la femme anglaise est en train de se garçonnifier et que Brada nous met au courant de cette bizarre opération.
 
C'était jadis un vieil axiome de droit constitutionnel, chez nos voisins, que le parlement pouvait tout, excepté faire un homme d'une femme. Nous avons changé tout cela: aujourd'hui, même sans le[Pg iv] secours du parlement, l'Anglaise travaille à changer de sexe afin de s'émanciper.
 
J'assiste à ce travail depuis quelques années. Je m'en suis d'abord amusé; maintenant je m'en effraye. J'ai cru que c'était une plaisanterie, ou une pose, ou une mode; peut-être, la toquade de quelques pauvres déséquilibrées, fruits secs de l'amour et du mariage; peut-être, encore, la réclame de quelques intrigantes qui ne peuvent espérer le succès que dans le coup de revolver de l'excentricité. Mais non, cela dure et cela gagne, cela s'installe et ressemble maintenant à un fait social; il faut l'accepter ou le combattre, mais il n'y a pas moyen de le nier. Ce qui est inouï, ce qu'on ne croirait jamais si on ne le constatait tous les jours, c'est que ce changement semble modifier non seulement l'état moral et les manières de[Pg v] la femme, mais jusqu'à son développement physiologique. Les signes extérieurs de la féminité disparaissent là où l'intellectualité à outrance fait ses ravages; la nature est presque vaincue. Depuis l'ascétisme médiéval, nous n'avions pas vu de pareilles victoires.
 
Quels sont les curieux symptômes qui accompagnent cette vie nouvelle, quelles sont ses conséquences, réalisées ou pressenties, sur le mariage, les professions, le home, la question des enfants, la question des salaires, la question de l'amour et la question du bonheur? Demandez tout cela aux Notes sur Londres.
 
L'auteur a étudié comme il faut étudier, d'un esprit parfaitement libre, sans parti pris, sans mauvaise humeur et sans emballement. En vérité, il y a dans ce mouvement si singulier qui se produit[Pg vi] en Angleterre et qui se produira peut-être bientôt chez nous, beaucoup de bien mêlé à beaucoup de mal. D'abord l'homme a, comme toujours, une grosse part de responsabilité dans les erreurs de la femme. Pourquoi l'a-t-il si longtemps enfermée dans des devoirs de ménage et de nursery? Est-ce qu'on lui avait donné Ève pour en faire une cuisinière ou une odalisque? Cette tyrannie souvent imbécile, toujours égoïste, devait amener ce qu'amènent toutes les tyrannies: des révoltes sans frein et des revanches sans mesure. Aujourd'hui, par des raisons de libertinage ou par des raisons d'arithmétique, l'homme ne veut plus se marier. Si la femme du peuple est lasse de travailler pour nourrir un mari fainéant, le petit bourgeois laborieux ne se sent plus assez riche pour suffire aux dépenses d'une demoiselle[Pg vii] épousée sans dot. La jeune fille est ainsi amenée à compter sur elle-même, à se jeter dans la mêlée pour conquérir son pain quotidien, avec quelque chose de plus pour beurrer la tartine. Elle était déjà romancier et artiste: la voici journaliste, agriculteur, professeur de mathématiques. Même celle qui n'a pas besoin de gagner sa vie ne veut plus de l'oisiveté énervante et corruptrice. Ne vaut-il pas mieux prendre une profession que de prendre un amant? Les deux hautes vertus, les deux grâces suprêmes de la femme, la charité et la pudeur n'ont pas encore fait naufrage. Seulement la charité s'appelle la philanthropie; elle est présidente ou secrétaire de quelque chose; elle a un bureau où elle donne des audiences et expédie des affaires, tous les jours sauf les samedis et dimanches, de onze à trois.[Pg viii] La pudeur s'appelle madame Ormiston Chant; elle va partout le front haut, inspecte et dénonce les mauvais lieux, se déguise en bouquetière et passe sa journée au coin d'une rue pour savoir jusqu'où va la grossièreté d'un caprice masculin et l'intensité des tentations au milieu desquelles se débattent les pauvres filles de Londres.
 
Tout cela signifie-t-il que la femme ne veut plus de l'homme? Je ne le crois pas. Brada ne le croit pas non plus. A ce propos, rappelez-vous que ces Notes étaient, d'abord, signées du nom de Bénédick. Or, ce Bénédick-là est l'arrière-petit-cousin d'un autre Bénédick qui a pu lui apprendre comment Béatrice allait vers l'amour en lui tournant le dos. On doit conserver cette tradition-là dans la famille. L'autre soir, j'écoutais une très[Pg ix] jolie pièce, qui est le plus récent succès du Criterion. Le dernier mot de l'héroïne, champion fougueux des droits de la femme, deux fois trahie dans ses affections, était celui-ci: I want love, «je veux être aimée!» Ainsi soit-il! Au fond, le rêve plus ou moins conscient de la femme, c'est la reconstitution de l'unio conjugale sur de nouvelles bases. Elle veut être mieux comprise; elle ne veut pas être moins aimée.
 
Ces vagues généralités ne vous donnent qu'une idée grossière et qu'un avant-goût très imparfait de la pénétrante analyse de l'auteur. Il a mis au jour, avec un tact, une finesse et une patience merveilleuse les mille aspects du problème. Il avait tous les dons nécessaires pour l'aborder et le résoudre.
 
Le premier point quand on observe en[Pg x] pays étranger les institutions, les caractères ou les mœurs, c'est de se laisser un peu aller et de ne pas se raidir. Le second, c'est, au contraire, de ne pas trop s'abdiquer, de garder son sang-froid et sa personnalité pensante. En deux mots, l'esprit critique, mais non l'esprit de contradiction. Ces deux mois définissent le livre que vous tenez dans les mains.
 
Un tel livre pouvait et devait se passer de préface. Je suppose que l'auteur, sachant que je vis au milieu des choses qu'il a décrites, m'a cité comme témoin, pour affirmer la vérité de ses peintures, l'opportunité de ses études, la portée de ses conclusions. Je lui rends ce témoignage de grand cœur. Si, au lieu d'une préface, j'écrivais un article de critique sur le livre, savez-vous à quoi se borneraient, en toute sincérité, mes chicanes? A ceci.[Pg xi] Je dirais à l'auteur qu'à mon gré, il n'a péché que deux fois dans tout le cours de ces notes, une fois par excès d'indulgence, une fois par excès de sévérité.
 
Il a une illusion à perdre sur le parlement de Westminster. Hélas! ce n'est plus tout à fait cette assemblée si digne et si décente que nous proposions en exemple à nos législateurs. On y cite plus souvent des refrains de café-concert que des vers de Virgile, et, maintenant que Gladstone n'est plus là, je crains qu'on n'y souffre plus jamais l'éloquence. En revanche, on y reproduit à merveille les cris d'animaux; l'année dernière on s'y est battu à coups de poing.
 
D'autre part, je demande à Brada de reviser quand il en trouvera l'occasion son jugement un peu dédaigneux sur un[Pg xii] acteur de grand mérite et un auteur de grand talent dont il a fait connaissance dans les circonstances les plus défavorables du monde. Quel dommage qu'il n'ait pu juger M. Tree dans le Bunch of Violets et M. Jones d'après les Masqueraders ou le Case of rebellious Susan. Son opinion, je crois, eût été fort différente.
 
Indiquer mon dissentiment sur ces deux points, c'est, je pense, dire hautement combien j'approuve et j'admire tout le reste. Maintenant que le témoignage est donné, le témoin n'a plus qu'à se retirer. C'est ce qu'il fait, en vous demandant très humblement pardon d'avoir retardé votre plaisir de quelques minutes.
 
AUGUSTIN FILON.
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