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I ASPECT DE LONDRES

时间:2020-09-30来源:互联网 进入法语论坛
核心提示:Il n'est peut-tre pas de ville plus potique que Londres, je dis potique et non pittoresque, et la posie de cette ville m
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 Il n'est peut-être pas de ville plus poétique que Londres, je dis poétique et non pittoresque, et la poésie de cette ville monstre est véritablement de l'ordre le plus spirituel et le plus abstrait; elle réside en grande partie dans la violence des contrastes, et aussi dans l'âme flottante du peuple anglais qui est infiniment poétique, avec naïveté, avec enfantillage.
 
L'arrivée à Londres le soir a quelque[Pg 2] chose de singulièrement frappant, on traverse des espaces où la lumière crue tombe à flots, pour entrer dans la profondeur perdue des rues tristes et sombres; ces rues semblent avaler l'être humain; on y éprouve le sentiment de l'abîme et de l'insondable, avec la perception presque oppressante de la présence cachée de milliers et de milliers de créatures vivantes.
 
Comme des yeux qui vous regarderaient dans l'obscurité et dont on sentirait l'influence troublante, ces rues de Londres ont un extraordinaire mystère, Dickens l'a ressenti et exprimé mieux qu'aucun autre écrivain. La vue de toutes ces rues noires, qui semblent mener à l'obscurité totale et s'y noyer, fait comprendre le tragique de l'expression «on the[Pg 3] streets» (sur les rues) qui désigne la prostitution, ces simples mots, pour qui a été saisi par l'angoisse de ces rues, représentent bien le dernier terme de la dégradation, y être errante et abandonnée la dernière des misères. Elles ont quelque chose de si horriblement cruel qui ne se voit jamais à Paris, même les soirs d'hiver ou de brouillard; c'est tellement différent que cela demeure inexprimable.
 
Une autre impression très vive, et peut-être celle pour laquelle on est le moins préparé, est celle du silence, le vrai silence, profond, doux et apaisant.
 
L'Anglais a la passion du silence, et aussi rencontre-t-on à Londres de véritables oasis où il règne d'une façon presque absolue, et presque toujours on l'obtient[Pg 4] entier à quelques pas de la rumeur farouche des rues bruyantes. Sur ce point les Inns of court et leur voisinage sont typiques, et d'un charme très pénétrant et tout unique.
 
Dans Holborn roule avec fureur la grande houle de la ville, pas un instant de trêve ni de repos, voitures et piétons en rangs pressés se succèdent toujours et sans cesse; comme une rage d'avancer et de se faire place semble posséder tous ces êtres. Soi-même on cède et on s'abandonne à ce flot violent qui vous emporte... tout à coup le hansom tourne, s'engouffre sous une voûte, roule doucement et débouche dans une paisible enceinte entourée de maisons couleur de terre; au centre, à moitié cachée par les arbres,[Pg 5] s'élève une chapelle; une autre voûte, une autre enceinte plus large et plus silencieuse, et voici un cadre tout propre à un béguinage.
 
Derrière une grille s'étalent de longs tapis verts qu'ombragent des grands arbres à l'air si calme et recueilli, et, en bordure, partout ces maisons uniformes à teinte triste, à fenêtres sans rideaux... c'est «Gray's Inn square», où, comme mis à part de la vie ordinaire, habitent, durant le jour du moins, des hommes de loi; on s'attend à voir dans cet enclos fermé se promener des hommes vêtus d'une robe. Toutes les vieilles lois, toutes les coutumes baroques non abrogées, tout ce qui fait la singularité et la force de la législation anglaise se trouvent logés là, dans le[Pg 6] milieu qui leur convient précisément. Une sorte de tristesse particulière plane dans ces cours; une quantité d'histoires, toutes vraies et tragiques, semblent se cacher derrière ces portes et ces fenêtres muettes comme des yeux d'aveugle. Il paraît bien impossible de vivre là, d'être saturé de cette atmosphère spéciale sans que l'esprit en reçoive une empreinte particulière. Ces études où pas un bruit n'arrive ont quelque chose de claustral, d'un peu effrayant et d'apaisant en même temps; elles ont comme un recueillement conventuel qui paraît tout propre, qui semble nécessaire, à ces vies destinées au labeur qui s'y poursuit au milieu des vieux bouquins moroses dont les textes obscurs rendent possibles[Pg 7] tant d'inconscientes cruautés; la justice anglaise a conservé encore le décor du sacerdoce, cette apparence du rite faite pour frapper les esprits et les retenir.
 
Un peu plus bas que les Inns of court, après qu'on a traversé Fleet Street, qui est comme le cœur même de la cité, et où le trafic est incessant, se trouvent les Jardins du Temple. C'est d'abord l'attrait d'une vieille porte à franchir; puis, aussitôt, des ombrages qui semblent faits pour les amoureux et les rêveurs, et qui mènent à des cours paisibles qu'entourent de longs cloîtres recueillis et vides.
 
Certes, ces lieux ne sont ni beaux ni magnifiques; mais ils sont, et au dernier point, profondément poétiques. Au milieu du jardin si vert, si apaisé, dont un coin[Pg 8] est encore cimetière tout rempli de pierres tombales sur lesquelles on marche, s'élève intacte la vieille église du saint ordre du Temple, avec sa forme mystique, et qui renferme les sépulcres oubliés de fiers croisés qui dorment là depuis des siècles...
 
A l'entour un bruit de fontaine, entre des bancs de verdure, des degrés de pierre qui mènent à des portiques surmontés d'inscriptions latines; nulle part ici la tradition n'est rompue, et cela est d'autant plus remarquable dans ce pays où il semble que la réforme aurait dû tout balayer; point du tout; on lit: «Vetustissima Templariorum Porticu igne consumpta 1678», et l'inscription latine se continue... un peu plus loin: «Antique[Pg 9] Templariorum Aule», et partout l'écusson du Temple avec l'agneau portant la bannière...
 
Dans ces jardins inégaux et baroques, avec ces vieux bâtiments, cette ancienne église, et au loin la vue du grand fleuve, on se croirait dans une ville morte et pleine de souvenirs; il semble n'y arriver aucun écho de la grande cité formidable qui les détient. L'Anglais est, à mon avis, l'être le moins iconoclaste qu'il soit, et il a fallu une éducation à rebours pour le mener où il est; seulement il semble maintenant arrivé au point où le besoin de retourner en arrière se fait violemment sentir.
 
Parmi ces choses visibles, qui ont une telle influence sur les âmes, il ne[Pg 10] faut pas oublier la Tamise, qui roule épaisse et lourde, sans bruit, elle a été pendant des siècles la véritable artère de la ville, elle est encore d'une attraction puissante.
 
Il existe du côté de Chelsea des coins délicieux sur le bord du fleuve, où s'aperçoivent au large des voiles brunes estompées sur ce ciel couvert et doux dont le charme est extrême dans sa sorte de demi-lumière caressante; il y a là, dans une paix et un silence infinis, des maisons à façades gothiques, précédées de jardinets discrets—et toutes ces habitations ont comme quelque chose d'humain et de personnel; ainsi voici une porte peinte d'un blanc laiteux très doux, et sur cette porte, en grosses lettres d'or, se[Pg 11] lisent deux lignes qui riment et disent:
 
Whoever knocks,
Opens the lock[1].
[1]Quiconque frappe, la serrure s'ouvre.
 
N'est-ce pas typique, n'est-ce pas bien exprimé, ce côté enfantin et poétique de l'âme anglaise? Trouverait-on dans notre Paris rien d'équivalent à ce besoin de communication entre l'habitant du logis fermé et le passant inconnu, et n'est-on pas cependant pénétré en Angleterre de ce je ne sais quoi d'intime et de discret des habitations, et pourtant, en vérité, avec leur manque de persiennes, elles sont les moins closes du monde; l'impression est donc toute spirituelle. Il y a ainsi dans Londres des quantités de squares qui donnent parfaitement l'impression[Pg 12] de l'asile et du repos, et croyez bien que ces squares ont une part énorme à la formation de l'esprit anglais; le génie particulier de cette race veut le silence, l'étincelle ici ne se multiplie pas par le frottement, elle demande à couver sous la cendre, en secret et comme mystérieusement.
 
Carlyle et Ruskin, qui sans aucun doute ont exercé l'influence la plus puissante sur l'esprit de leurs contemporains, ne trouvaient que dans le silence extérieur la possibilité du développement de leur rêve intérieur. Le goût et le besoin du silence autour de lui était morbide chez Carlyle, le home du vieux Ruskin est sur les bords solitaires des eaux tranquilles. Tennyson, le poète même de la[Pg 13] nation, a vécu dans la plus paisible retraite.
 
Le silence s'épand encore à l'aise dans les parcs; là, il y a des heures du jour où la Divine Paix, celle qui plane sur les eaux, semble régner au milieu du murmure des choses vivantes. Il y a des effets de lumière voilée, des nuages pâles qui paraissent doublés d'or, des teintes fondues dans la verdure, et comme un je ne sais quoi de maternel dans cette nature où rien de sec ni de dur n'arrête l'œil; les agneaux qui paissent et qui, au coucher du soleil, viennent boire l'eau de la Serpentine; au loin, les hautes maisons de Kensington sur lesquelles, parfois, il semble avoir neigé quand elles se détachent sur le ciel d'opale, tout cela est d'une poésie absolue[Pg 14] et parle à l'âme;—parfois, dans les rues, on a l'aspect des choses comme vues en rêve; la couleur particulière que prend ici la pierre qui, dans les endroits où elle n'est pas salie, devient d'un blanc mou, donne aux silhouettes d'église une apparence de mirage, surtout lorsqu'elles se perdent sur un ciel de même teinte; et le brouillard lui-même a d'exquis mystères. Hier, je traversais la Tamise, elle était d'une couleur brune, avec de légères raies blanches, faites par l'écume; très bas planait une vapeur pareille à une fumée d'incendie; trois barges plates et noires faisaient tache sur le grand fleuve, que barrait une barque à voile rougeâtre; tout cela se perdait dans une sorte d'impalpable fantasmagorie et, au-dessus,[Pg 15] très haut par-dessus la brume, se dessinaient vaguement de vastes masses qui étaient la ville. Cela était singulièrement beau et propre au rêve, et on n'entendait rien que l'immense silence.
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