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VI «SOCIETY PAPERS»

时间:2020-09-30来源:互联网 进入法语论坛
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 On a dit et redit que c'est dans les salons du XVIIIe siècle que se prépara la révolution; ce sont les Society papers qui préparent en Angleterre le changement qui arrivera un jour ou l'autre;—ce sont ces journaux qui sapent lentement mais sûrement le sentiment de respect superstitieux qui entourait la royauté en tant que royauté; une lumière crue est projetée sur les moindres actions de ceux qui tiennent à cette royauté, et il est[Pg 86] indubitable que cette lumière enlève beaucoup à l'illusion. Et ce qui constitue le vrai danger de cette littérature, c'est précisément qu'elle n'est pas haineuse: rien ne révolte, rien ne provoque une explosion de sentiments contraires, mais on s'habitue à voir qu'en réalité il y a bien peu de chose sous ces oripeaux devant lesquels on s'inclinait par habitude. Les critiques portant sur les actions de la reine et de ses enfants sont celles qu'on se figurerait seulement possibles dans une presse hostile; eh bien, pas du tout, il paraît que c'est par affection qu'on les morigène ainsi; en vérité Shakespeare avait raison: «Familiarity breeds contempt» (la familiarité engendre le mépris). La familiarité est poussée présentement,[Pg 87] au delà des limites permises, le mépris n'est pas loin, il est peut-être déjà là.
 
Le «potin» est maintenant devenu une institution sociale, et est passé à l'état de besoin, d'appétit qu'il faut absolument satisfaire. On ne s'imagine pas jusqu'où cela est poussé, et la liberté et la désinvolture avec lesquelles se franchit le mur Guilloutet,—il est loin le temps où l'Anglais pouvait dire que sa maison était une forteresse.—La reine, le prince de Galles et sa famille sont les moins épargnés, et leurs affaires particulières, leurs espérances et tout ce qui les concerne, est discuté sur un ton d'égalité, et même de supériorité qu'on conçoit à peine. Il a fallu, pour en arriver à oser se mêler à ce point des affaires du voisin,[Pg 88] un pays où le duel est discrédité, et où la seule ressource contre certaines impertinences est l'appel aux tribunaux, parti extrême, qui fait hésiter les plus braves.
 
Il est advenu de cette presse potinière ce qui est arrivé avec une certaine presse, en France; les hardiesses les plus téméraires d'il y a vingt ans sont tombées au rang de gentillesses assez fades. En Angleterre on a été de l'Owl (le hibou) au Modern Society, et le pas franchi est effrayant! L'Owl, lorsque son premier numéro parut, fut jugé une entreprise extrêmement osée; édité dans un format élégant, composé de quelques feuilles seulement, il servait à ses lecteurs des articles courts, bien tournés, racontant en termes choisis et voilés les nouvelles et[Pg 89] les scandales du jour. Pas de noms, des insinuations à peine, tout cela dans le ton de la bonne compagnie; il fallait en être, du reste, pour trouver intérêt à ce joli petit journal. Sa rédaction fut d'abord un mystère, bientôt percé, mais qui était cependant assez bien défendu pour ajouter au piquant de ses informations. On sut qu'Algernon Borthwick, alors, comme aujourd'hui, directeur du Morning Post; alors, comme aujourd'hui, homme d'esprit et homme du monde, en était le fondateur et l'inspirateur; il avait groupé autour de lui un cercle de «Hiboux», oiseaux de choix, dont les conciliabules secrets excitaient la curiosité publique; le succès du Owl fut très grand, mais on s'adressait à un public trop restreint,[Pg 90] l'entreprise ne fut pas continuée.
 
Quelques années après, un joli garçon du nom de Bowles, fort goûté des femmes qui le déclaraient plein d'esprit, fonda le Vanity Fair (foire à la vanité). Ce fut le commencement du reportage à outrance, les cancans mondains étant la seule raison d'être du nouveau journal qui annonçait les nouvelles avant même que les intéressés en fussent avisés! Le goût de se voir imprimé se développa comme une épidémie; ce n'était plus la simple nomenclature du Morning Post ou du Court Journal, mais de véritables articles louant la beauté, approuvant ou désapprouvant ceci ou cela, enfin le ton d'une caillette mal élevée. Le genre était fondé, aujourd'hui c'est une puissance.[Pg 91] On ne peut vivre à Londres sans lire le World ou le Truth; ces deux feuilles se rencontrent sur toutes les tables, et leurs colonnes serrées sont avalées avec délices.
 
Madame de Sévigné écrivait que la mauvaise compagnie est infiniment préférable à la bonne, parce qu'on a moins de peine à s'en séparer; dans le même ordre d'idées, on peut dire que les indiscrétions ultra épicées de quelques feuilles parisiennes sont moins dangereuses pour le goût public parce qu'elles n'auront jamais qu'une catégorie spéciale de lecteurs. Ces lecteurs trouveront, sans doute, un plaisir particulier et sauvage à deviner les noms que cachent des pseudonymes complaisants, mais, en somme, ils[Pg 92] ne s'intéressent réellement qu'aux faits et gestes des débonnaires personnes dont le nom ne se dissimule pas plus que la personne, et quant aux échos de journaux comme le Figaro, le Gaulois ou le Sport, ce sont des riens, et la nomenclature de quelques fêtes, avec l'ébruitement des déplacements de la reine Isabelle ou autre Majesté dans la dèche, en fait le principal attrait; ce n'est pas encore cela qui gâtera l'estomac public.
 
Mais prenez un numéro de Noël du Truth, et vous verrez ce qu'on se permet de dire à l'héritier du trône. A peine, en France, dans cette France républicaine, critique-t-on faiblement l'amitié d'un prince d'Orléans pour le baron Hirsch; en Angleterre, l'engouement du[Pg 93] prince de Galles pour ce même baron est l'objet des plus sanglantes critiques; les Society papers se sont arrogé droit de haute et basse justice sur les actions des grands, et ils leur disent leurs vérités, qui, comme jadis celles du père Bonhours, sont souvent des injures.
 
Veut-on un petit échantillon, entre cent, du bon goût des indiscrétions du World qui, cependant, va beaucoup moins loin que le Truth: On y raconte que le prince Baudouin, mort récemment, était remarquable par sa ressemblance avec Napoléon Ier, et on rappelle que l'empereur avait passé pour être l'amant de la grande duchesse Stéphanie de Bade, grand'mère du prince! Même le formidable empereur allemand n'est pas[Pg 94] plus ménagé qu'un autre, et on se demande quelle nouvelle bêtise (le mot en français) il va faire? Quant aux grands seigneurs anglais et à tous ceux qui font partie des «dix mille d'en haut», leurs affaires intimes sont propriété publique, et de même que les photographies de leurs femmes s'étalent partout, et que chacun peut critiquer la forme de leur nez, leur vie est offerte en pâture à la curiosité, ou, pour mieux dire, à la malignité. Et comme le Truth et le World n'ont pas de plus grand plaisir que de se contredire, l'émulation ne se ralentit jamais. Il faut lire dans ces journaux ce qui est censé représenter le bavardage féminin: le tranquille cynisme qui le distingue est renversant!
 
[Pg 95]
 
Jouir semble être le but unique et légitime de toute existence; la spirituelle personne qui écrit dans le Truth décrit avec la même volupté un nouveau plat, ou une nouvelle robe, et tout cela n'est pas un rendu de chic, mais l'expression véritable des sentiments courants. Cette préoccupation de jouir de la vie emplit et absorbe les existences, tout est poussé à l'extrême; ainsi les visites dans les châteaux sont devenues des obligations aussi onéreuses que les séjours à Marly pour les anciens courtisans; on veut être magnifique à n'importe quel prix, et cependant tout le monde à peu près crie misère, car l'Angleterre traverse une crise agraire et financière très réelle. De là le prestige d'une madame Mackay, qui[Pg 96] charge les tribunaux de démentir officiellement qu'elle ait été blanchisseuse, et d'un baron Hirsch, baron Centpercento, comme l'appelle le Truth. Cependant un léger, très léger mouvement antisémitique commence en Angleterre, c'est une faible et première protestation contre l'écrasant empire de l'argent, empire qui, en s'étalant trop, arrive à réduire à l'état de comparse et de satellite l'héritier du trône lui-même—on le lui dit, du reste, tout nettement;—le manque de respect va plus haut que les princes et atteint les choses jugées les plus sacrées pour un Anglais. Dans une récente nouvelle du World, on parle d'un serment sur des «Bibles et autres machines», oui «Bibles et autres machines!!» et cela s'imprime[Pg 97] dans un journal répandu et bien famé! et puisque cela passe, il faut croire que cela amuse.
 
Ce goût du potin devient, dans les classes inférieures, une véritable voracité; c'est pour y satisfaire qu'on a fondé le Modern Society, qui, pour deux sous, donne presque un volume rempli d'histoires sur l'un et sur l'autre. On y parle de la reine, en termes de dérision, et cependant avec un demi-sérieux. Ceux qui écrivent sont presque étonnés de leur hardiesse. Il est difficile de calculer l'influence pernicieuse que peut avoir une pareille publication, qui ne sert que les pires instincts, l'envie, la basse médisance, le dénigrement empoisonné. C'est, à proprement parler, de la littérature de[Pg 98] cuisine, et il est à supposer qu'elle fait les délices des flunkeys en bas de soie, qui en sont peut-être les collaborateurs.
 
Le besoin de publicité est passé en manie, et pour se rendre bien compte jusqu'où il peut aller, il faut voir les feuilles à clientèle féminine, le Lady's Pictorial, par exemple, publication très répandue et très bien vue. Comme on s'adresse à une clientèle qui ne souffrirait pas le scandale, on a cherché autre chose pour affrioler, et voici ce qu'on a trouvé. On publie les portraits des demoiselles qui se marient, sept, huit, dans un même numéro; ce sont des jeunes personnes quelconques, sans l'ombre d'une notoriété, elles ont eu le tranquille toupet d'envoyer leur photographie et la liste, détaillée[Pg 99] jusqu'au chèque, jusqu'au plus mince objet de leurs cadeaux; laides ou jolies les voilà, de face, de profil, en buste ou en pied; les yeux rêveurs ou les yeux baissés; quelques-unes sont en robe de mariée, et alors Pilotelle est appelé à corriger la nature, et les représente avec des yeux immenses, des bouches microscopiques et des nez grecs! Fiancés et parents sont évidemment ravis et les lectrices aussi, il faut le croire.
 
C'est un monde qu'un seul numéro d'un de ces journaux, il y a de tout là dedans: de l'art, de la mode, de la morale, de l'hygiène (consultations médicales pour les personnes et les bêtes), une page pour les enfants, aussi avec portrait, pour flatter la prodigieuse vanité des[Pg 100] parents; de la cuisine, du jardinage, tout cela traité à fond; mais j'arrive au clou, à l'inédit, c'est la correspondance sur la physionomie; une demoiselle qui a écrit un volume sur l'influence des étoiles, qui forme des élèves qui la suppléent au besoin, dévoile les caractères sur la vue d'une photographie, elle en fait autant d'après l'écriture, mais la graphologie étant une branche inférieure de son art, elle l'a passée à son élève, qui signe Mercure. Les réponses sont inimaginables et il y en a plus de cinquante dans un même numéro. Un monsieur, par exemple, y apprend qu'une femme dont la planète serait Vénus lui conviendrait mieux; le menton d'une autre montre de la sympathie; beaucoup de personnes sont[Pg 101] sous l'influence de la lune et de Vénus; le nez de celui-là indique un sentiment d'honneur; un autre nez montre une susceptibilité à l'influence du sexe opposé! L'explication des grains de beauté est maintenant réservée pour le huis clos—du reste, la consultation particulière coûte dix shellings; il est vrai que c'est pour rien, afin d'acquérir la certitude que le nez de votre fiancé témoigne de la susceptibilité à l'influence du sexe opposé!!
 
Voilà où en arrivent les gens pudibonds, et le plus joli est qu'ils n'ont pas, je crois, la moindre idée de leur indécence. Les lectrices du Pictorial sont évidemment les plus honnêtes femmes du monde, mais de l'ancienne répugnance à exhiber sa personne en public, il ne[Pg 102] reste plus rien. O douces Anglaises des keepsakes d'antan, où êtes-vous? elles seraient cruellement étonnées de voir comment s'occupent leurs descendantes.
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