法语学习网
当前位置:首页 » 法语阅读 » 法语文学 » Les tendres ménages » 正文

IX CHASSE-CROISÉ

时间:2021-04-07来源:互联网 进入法语论坛
核心提示:Madame,Les nouvelles dont j'aivous faire part ne sont pas, hlas! faites pour rjouir un coeur de mre; et il faudra faire
(单词翻译:双击或拖选)
 «Madame,
 
«Les nouvelles dont j'ai à vous faire part ne sont pas, hélas! faites pour réjouir un coeur de mère; et il faudra faire appel, pour les supporter dignement, à tout ce que le vôtre contient d'énergie humaine et de résignation aux décrets divins. Mais n'appartient-il pas à toute mère de souffrir; et, depuis Celle dont nous adorons le fruit ineffable, n'y a-t-il pas quelque adoucissement pour les autres à faire comparaison de leurs douleurs, malgré tout bornées, avec toute cette Passion dont Elle fut crucifiée dans son amour?
 
«Non point, à vrai dire, que l'actuelle infortune de la baronne de Mariolles-Sainte-Mary soit irréparable; loin de là. Le temps, la douceur d'un foyer de famille, les tendres baumes de la dévotion ont cicatrisé des blessures autrement profondes et douloureuses. Et il n'est pas besoin, Madame, de vous faire d'avance remarquer que, si nous pouvions nous en tenir à un point de vue purement humain, les tempéraments ne manqueraient pas. Que de familles, hélas! trop portées à ne considérer les événements qui les touchent qu'à travers le siècle, où elles vivent comme plongées, découvriraient bientôt dans l'arsenal des lois modernes un prompt et malheureux remède. Mais, tout de suite, j'en écarte jusqu'à la seule idée. Sans que j'aie l'honneur, madame, de vous avoir jamais vue, vous avez bien voulu me favoriser assez souvent de vos lettres pour que je sois demeurée édifiée de la solidité de vos principes. Ce n'est pas aller trop loin que de juger en cela digne de vous cette charmante Sylvère si aimée parmi nous. Il ne faut donc point s'étonner qu'elle ait su choisir le parti le plus sage et le plus légitime, encore que peut-être un peu rigoureux.
 
«Mais il est nécessaire, avant que d'aller plus avant, que j'entre dans le détail de circonstances qui étaient malheureusement, quoique depuis peu, trop aisées à prévoir, et auxquelles vous-même vous attendiez.
 
«Mme de Mariolles en vous faisant part de ses craintes, ou plutôt de sa certitude, en même temps que de l'estimable projet qu'elle avait formé de venir faire la retraite dans notre maison, vous avait caché, je le crains, le soin qu'elle avait pris de faire surveiller son mari et cette dame par je ne sais quelle police particulière.
 
«Pardonnez-moi, Madame, si je m'exprime gauchement; mais c'est là une sorte de narration à laquelle j'étais, Dieu merci, demeurée jusqu'à présent étrangère. Pour faire bref, M. de Mariolles invita cette dame de ses amies à se rencontrer avec lui, un après-dîner, chez des commerçants, à ce que j'ai cru comprendre, et, sans doute, peu honorables, puisqu'ils acceptaient que leur foyer devînt un théâtre de tentations. Mais les policiers, par des moyens que je ne saurais imaginer, l'ayant appris, avertirent Sylvère; et la magistrature le sut aussi. Le mari (car cette malheureuse est mariée) s'y rendit de son côté. Tout se découvrit enfin; et même Mme de Mariolles m'a fait entrevoir à ce sujet des choses tellement singulières, pour ne pas dire plus, que je laisse encore d'y croire, et ne puis les attribuer qu'à la fièvre qui se déclara chez elle la nuit même de ce funeste embrouillement, qu'elle revint chez nous et tomba tout d'abord dans une crise de larmes, puis dans une excitation qui nous fit croire un instant à un peu de délire. Cela se passait hier soir. Des prières que nous fîmes aussitôt réussirent à la calmer un peu. Aujourd'hui elle est physiquement tout à fait bien; et, quoiqu'il ne soit pas dans nos usages qu'on interrompe et reprenne ainsi une retraite, nous aimons trop Sylvère pour ne la pas garder parmi nous aussi longtemps qu'elle désirera...
 
«Un reste de fatigue l'a fait me prier de vous écrire à sa place. Son projet serait de se retirer auprès de vous, ou dans cette terre que vous lui donnâtes en dot, pour y vivre d'une sorte de veuvage volontaire, sans jamais revoir son mari. Je crains un peu, et vous craindrez sans doute avec moi, qu'il n'y ait là-dessous le désir secret de ne pardonner point, et moins de résignation que de colère. Mais, d'autre part, je ne doute pas, Madame, qu'avec le temps, vos conseils, nos prières, elle ne revienne à une solution plus voisine à la fois et de la charité du chrétien et de la tolérance mondaine.
 
«M. de Mariolles est à Paris, dans ce même hôtel sans doute où ils se trouvaient auparavant. Quant à la dame, je ne sais ce qui en est advenu. Sans doute l'aura-t-on mise en prison ou dans quelque couvent; et il est à regretter qu'on n'y puisse rétablir en sa faveur toute la discipline d'autrefois. Mais croiriez-vous, Madame, et j'ai à peine le courage de l'écrire, qu'au moment où les magistrats pénétrèrent dans l'appartement où elle se trouvait avec M. de Mariolles, elle n'offrait plus aux regards, sur sa personne, qu'une partie de ses vêtements. La singularité des moeurs étrangères ne suffit point à excuser cette indécence, dont la honte d'y être surprise lui aura été sans doute un bien cruel châtiment. C'est d'ailleurs une protestante.
 
«En attendant la réponse qu'il vous plaira de faire à Sylvère ou à moi-même, je vous prie, Madame, etc.
 
«SOEUR MARIE DES PRODIGES.»
 
 
Floride d'Erèse à Gédéon—Lord
Harryfellow.
 
«Mon cher Lord,
 
«J'espère que la présente te trouvera de même. Figure-toi que tu es planté sur un quai de gare, mon petit Lord, avec cet air naturellement rasé que tu portes écrit sur la figure; et moi, incrustée à mi-corps dans la fenêtre des lits-toilettes, en train d'agiter vers toi un mouchoir trempé de mes larmes. Je te quitte, quoi. Mais le plus triste c'est que j'ai beau me tâter de long en large (voilà un genre de distractions où tu ne m'as jamais fait l'honneur de te fouler grand'chose) je ne réussis pas à m'en découvrir le moindre remords. Peut-être qu'on n'éprouve ça que longtemps après, comme les lésions internes; et, pour en revenir à la nôtre, je ne sais pas comment on dit: ouf, en américain, mais si tu savais, non! ce que je le pense.
 
«Ton beau-frère, ce Cristobal comme on n'en fait plus, me recommandait tout à l'heure de ne pas me montrer brutale en rompant avec toi. Car l'homme des pampas nourrit à ton égard des sentiments généreux dans son coeur sauvage. La méfiance n'a jamais fait de petits sur son lit, et, comme il est dans ton genre, n'aimant pas beaucoup à réfléchir, M. de Mariolles suffit, pour le moment, à lui fiche mal de tête. Mais avoue qu'il en a de bonnes, de songer à la douleur qu'il va te faire de se défiler avec moi, comme si ce n'était pas pour toi la meilleure occasion d'apporter quelques adoucissements à la solitude de ta pauvre délaissée de soeur, «Ariane, ma soeur», comme disait Sarah Bernhardt. Car, je ne sais pourquoi, je m'imagine que Mariolles ne va pas beaucoup s'occuper de la consoler, et, au fond, sa petite légitime l'excite bien davantage. Elle est charmante, d'ailleurs, cette baronne-là. Comment pouvais-tu ne pas être à son sujet (c'est de toi-même que je le tiens) du même goût que ta soeur? Et elle s'est conduite très vaillamment dans toutes ces histoires.
 
«Au fait, je suppose que tu les sais toutes, ces histoires, et comment ton beau-frère fit, du côté de Saint-Lazare, dans je ne sais plus quel hôtel, la découverte d'une Mme de San Buscar qui l'était également beaucoup, et d'un Mariolles en chemise. Eah! éah! charmante soirée!
 
«Ne te fâche pas, au moins, mon bon Lord; ces choses-là arrivent aux meilleurs des frères. Et pourtant, m'as-tu assez barbée jadis, quand tu avais pris ta cocaïne, avec les vertus de la dame américaine, et avec ses charmes aussi. Je me demande même comment tu étais si bien renseigné. Enfin, ça vous regarde, vous autres. Et qu'elle soit bien ou mal plantée, ça ne me fera pas une plus belle jambe.
 
«Encore, si tu ne m'avais rasée qu'avec ta soeur, mon pauvre ami; mais, c'est là que je voulais en venir, il faudra te guérir, si tu veux plaire aux femmes d'ici, d'un terrible défaut, c'est d'être ennuyeux. Tu es joli garçon, ça se voit et je ne le nie pas; mais d'abord, pour ce que tu en fais, tu jouerais aussi bien les jolies filles: et encore. Outre qu'augmenté même de tout ce qui te manque, et je bâille comme une marennes rien que d'y penser, tu ne serais pas complet tout à fait si tu ne sais pas causer et faire rire. Les Françaises aiment qu'on les amuse, même à ses dépens, comme ça peut arriver à Cristobal. Tel quel je le préfère, et je commence à m'habituer très bien à son genre (c'est bien le mot). Tandis que, toi, tu ne m'en avais, pour ainsi dire, pas fait changer. Et je ne te dis rien de sa galette, dont il a beaucoup; au lieu que toi, au premier gros billet qu'on t'avait sorti, tu étais épuisé; ça aussi, vois-tu, il faut savoir y revenir.
 
«Nous partons donc ensemble, je n'ai pas très bien compris pour où; mais ce sera très drôle. On prend des paquebots allemands, et puis des mulets. Et à la fin on trouve beaucoup de moustiques, des ananas, des gens à moitié nus. Voilà un pays où ne pas mener ta soeur et amie, Lord: ça lui rappellerait tout le temps son hôtel du quartier Saint-Lazare. Cependant présente-lui mes derniers hommages, et quant à toi, j'espère, à mon retour, te trouver un peu plus civilisé que tu ne fus jusqu'ici. Crois-moi, il ne suffit pas, à Paris, pour faire figure, de se la faire épiler; d'avoir à la boutonnière des petits chichi dans le genre du T.-C.; de porter son revolver dans la poche de son smoking; ou de prononcer Tchéronne quand on cause avec des automobilistes. Il ne suffit même pas de boire du Champagne plus extra dry que l'amadou, jusqu'au point d'aller danser avec des tziganes. Il y a pas mal de choses encore à savoir faire, pour ne rien dire de l'amour. Tu en découvriras quelques-unes si tu lis attentivement Maurice Donnay ou Pierre Veber. C'est leur grâce que je te souhaite; adieu.
 
«FLORIDE.»
«P.-S.—Ne cherche pas d'obscénités dans ma lettre: il y en a.»
 
 
 
 
Le comte de San Buscar au baron de Mariolles.
 
«Mon cher ami,
 
«Je veux vous donner encore ce nom-là malgré les choses qui se sont passées entre nous; et vous comprendrez tout de suite pourquoi je ne cherche pas à en tirer aucune vengeance quand je vous aurais annoncé que je me sépare d'avec ma femme. Qu'est-ce que vous dites, mon cher? Ça vaut bien la peine de risquer de vous tuer, ou d'être moi-même, pour une personne que je ne regarde plus. Alors, n'attendez pas mes amis, je vous prie: ils ne viendront pas. Vous connaissez assez mon courage par vous-même, et par toute ma vie d'Amérique que je vous ai déjà racontée. Je ne suis plus un petit enfant, capable de me battre pour le qu'on dira de moi. Il me suffit que vous, vous ne croyiez pas que c'est par prudence que je m'en vais sans vous revoir. Ça nous mettrait tous les deux dans une situation fausse; et, d'ailleurs, vous savez au besoin où me retrouver.
 
«Comme je vous l'ai dit plus haut, je quitte Paris aujourd'hui même, et je vais faire un tour dans le Mexique—où j'ai des mines d'argent. Mme d'Erèse est assez gracieuse pour venir aussi, voulant connaître ce pays dont elle a beaucoup entendu parler. C'est la plus fidèle des amies, la femme la plus intelligente, qui m'a le mieux consolé dans tous ces ennuis. Comme on sent bien, mon cher, que celles qui se donnent librement, dans la force de l'expérience (ce sont ses propres paroles), ne peuvent pas nous faire courir les mêmes risques que d'autres. Vous verrez vous-même un jour, dans l'avenir, comme le mariage est une combinaison qui trompe. Mais je ne veux pas vous faire du chagrin d'avance, mon cher ami, et je me contente de vous dire, une fois de plus... etc...
 
«SAN BUSCAR.»
 
P.-S.—Je ne pense pas que vous ayez aucune affaire dans mon pays. Autrement, écrivez-moi à Mexico, calle de los Doscientos Heroes.»
 
 
 
 
Gédéon-Lord Harryfellow à Imogène.
(Traduit de l'anglais.)
 
«Imogène, j'ai passé pour vous voir. Vous n'y étiez pas, m'a dit cette femme de chambre au vilain regard, que vous gardez, envers et contre tous, à votre service. Vous devinez ce que j'allais vous dire, ou plutôt tâcher de vous dire. Car au dernier moment, qui sait si vous ne m'auriez pas acheté une fois de plus avec vos yeux et votre sourire, comme vous faisiez déjà, petite fille, quand je vous avais surprise à caresser quelqu'un de vos sweethearts derrière le paravent, et que vous aviez peur que je le répète à nos parents. Mais, à vous écrire, j'aurai plus de courage; et votre portrait qui est là sur ma table a beau avoir l'air de dire non, il faut que vous le sachiez, Imogène, c'est bien horrible, ce que vous venez de faire.
 
«Ainsi, au même temps où vous m'écriviez cette lettre qui me fit revenir à Paris si joyeux, oui, dans ce même temps, vous vous risquiez follement pour ce ridicule Français qui parle tout le temps, qui saute, qui a la barbe en pointe. Ah! si je savais parler comme eux. Et n'ont-ils donc pas de pudeur de montrer ainsi leur âme nue, ou bien s'ils mentent? Et moi, il y a tant de choses, de belles choses, que je pense, dont je ne sais pas les mots. Et pendant que je reste, sans rien dire, à remâcher les morceaux de mon coeur jusqu'à ce qu'ils m'empoisonnent, un autre survient... Quoi! Imogène; et quelle honte; ces gens de police aussi, ils vous ont vue—plus que je ne vous ai jamais vue. Étaient-ils nombreux? Est-ce qu'ils ont ri? Et quelqu'un d'entre eux n'a-t-il pas voulu savoir si vous étiez aussi douce à la main qu'aux yeux? Pardonnez-moi, je deviens grossier; mais j'ai tant de jalousie, et je me suis drogué pour tout vous dire une fois.
 
«Le mal est que je ne sais pas bien nettement moi-même où j'en suis; et il n'y a qu'une chose dont je sois sûr, c'est de ne plus pouvoir me passer de votre présence. Vous êtes nécessaire à ma vie, Imogène; il faut que j'entende le bruit de vos pas autour de moi, que je voie votre mouvement, que je vous écoute parler ou demeurer silencieuse, que je vous regarde me regarder—et me sourire. Qui donc vous aimerait plus que moi?
 
«On prétend, je le sais bien, qu'entre frère et soeur l'intimité tombe aisément au scandale. Qu'elle y tombe donc; et je ne sais ce que vous en pensez, mais à moi votre aspect voile toutes les autres choses. Et que me font la vertu, la fortune, la réputation, au prix de la couleur de vos yeux, qui sont comme le jour dans une eau vive.
 
«Pourquoi ne partirions-nous pas tous les deux, loin de cet horrible Paris? Votre position n'y va pas être tenable, et, à tout prendre, il vous faut un compagnon. Nous voyagerons si vous l'aimez. Tous les paysages me seront beaux si vous les ornez. Vous aurez en moi le serviteur le plus asservi, et, quant aux gages, je ne suis pas exigeant, Imogène: vous me donnerez ce que vous voudrez.
 
«LORD.»
 
 
 
Imogène à Cristobal de San Buscar.
 
«Mon bon Cristobal, que vous aviez été éloquent, ce soir où vous parlâtes contre le divorce chez votre tante de Barracajal. Et maintenant? Il ne faut jamais, voyez-vous, cracher dans les fontaines, si l'on n'est pas assuré de n'avoir jamais soif. Car j'imagine que vous voulez divorcer. Sans cela je ne vois pas pourquoi vous auriez dérangé cet honnête M. le Commissaire et son latin. Était-ce pour lui offrir gratuitement de votre femme un de ces spectacles pour lesquels, paraît-il, des gens curieux payent fort cher? Je ne le pense pas. Divorçons donc, Cristobal, divorçons. Sapons les bases, comme vous disiez. Vous avez contre moi, je pense, tous les témoignages nécessaires, les preuves les plus convaincantes. Si tout cela ne suffit pas encore, faites-moi signe: je suis prête à compléter.
 
«Et ne me jugez pas cynique, mon ami, de plaisanter un peu à propos de ces choses. Mais si vous aviez pu vous voir entrant dans la chambre du crime, flanqué de ce fonctionnaire et de la petite Mme de Mariolles, vous ne pourriez vous tenir d'en rire vous-même en y pensant. Ce qui m'avait plu jadis en vous, c'est un robuste non-sens du ridicule, et cette même face ronde, pleine, satisfaite, que vous apportez aux choses les plus délicates, et qui m'a fait songer parfois (ne vous fâchez pas) à la lune obstinée et mal discrète des nuits d'été. Je la revois, cette bonne figure, mais pour une fois nuancée d'angoisse, chez les Half-Howard, au-dessus de la nappe et de la verrerie, ce soir que vous aviez votre escarpin sous la table. Vous rappelez-vous? C'était du vivant de ce pauvre colonel; et vous portiez, étant grand joueur de pédales, des escarpins très bas, faciles à ôter, comme à remettre. J'en admirais l'invention à cette époque, puisqu'elle me valait d'avoir souvent de votre orteil jusqu'aux jarrets; et, ce soir-là même, c'est en mon honneur que vous aviez égaré votre soulier, comme on fit du petit Poucet dans les bois.
 
«Vous ne vous en étiez pas aperçu encore à la fin du dessert, à ce moment où l'on sent que la maîtresse de maison va faire le geste de se lever; et c'est là que ça devint drôle. Je vis votre visage changer, se tendre, tout convulsé d'une secrète horreur, comme si le renard de Sparte vous avait rongé par en bas. Et l'on voyait bien que vous faisiez des mouvements sous la table; vos mains et vos bras en reproduisaient d'instinct le rythme sur la nappe: vous aviez l'air de ramer des choux; et cependant vous parliez, vous parliez avec fureur, pour qu'on ne se levât pas. Vous disiez des choses qui n'avaient aucun sens; vous en disiez beaucoup, et sans vous arrêter. Tout le monde vous considérait avec étonnement jusqu'au moment, je pense, où, par une touchante conformité de moeurs, chacun comprit; et ce fut à moi d'être gênée. Enfin ce flot de paroles cessa brusquement, vos mains cessèrent de ramper en rond sur la nappe, votre visage s'apaisa, et ce fut autour de la table une satisfaction générale. Chacun manifestement se disait: «Voilà San Buscar qui a remis le pied sur son croquenot. On va pouvoir aller fumer.» Et on se leva.
 
«Je me suis remémoré cette petite histoire, l'autre jour, lorsque vous êtes venu me voir au lit, avec du monde. Dans les deux cas vous faisiez la même tête; et, en vérité, ce n'est pas galant de m'avoir perdue du même air que votre chaussure.
 
«Je vous écrivais d'ailleurs pour vous conter des choses plus sérieuses; c'est que je pars en voyage avec mon frère Lord. Vous connaissez son affection pour moi, et je ne pouvais tomber en meilleures mains, au sortir des vôtres. Si vous avez quoi que ce soit à me faire assavoir, mon notaire vous servira d'intermédiaire. Là-dessus, mon bon Cristobal, adieu, et malgré ces nuages, croyez toujours à mon amitié.
 
«IMOGÈNE HARRYFELLOW.»
 
 
 
Sylvère à l'Ange Gardien.
 
«Monsieur,
 
«Je vous retourne votre lettre, que je voudrais ne point avoir lue, et je vous prie de ne m'en plus écrire, tout au moins de ce ton. Est-il donc besoin de vous rappeler que la situation singulière où je suis me laisse seule à me faire respecter, et que ce serait d'un bien débile courage que d'en vouloir tirer parti? Que si, à l'opinion que les femmes vous ont laissé prendre d'elles, l'honnêteté seule ne vous paraît point de mon côté une sauvegarde suffisante, la tendresse que je garde à mon mari malgré ses fautes, et que la séparation ne saura pas détruire, doit vous éclairer assez sur la vanité de votre égarement. Je vous ai déjà parlé là-dessus avec franchise: voici pourtant que vous y revenez, et jusqu'à me rappeler cruellement cette intimité où je me suis laissée glisser avec vous dans la solitude et la tristesse de Versailles. Un banc, une charmille, ne vous sortent pas, dites-vous, de l'esprit. Devriez-vous donc me forcer à m'en souvenir aussi, à vous avouer que moi non plus je ne les saurais oublier, et que la honte me poursuit sans cesse d'en éprouver tant de remords, et de n'en pouvoir ressentir que si peu de regrets. Ah! Monsieur, si vos lèvres dévorantes avaient été de fer rouge, quelle pire blessure m'auraient-elles laissée?
 
«Mais laissons ce sujet. Il m'est plus amer que vous ne sauriez croire, et n'aurait pas été la cause que je vous écrive, si je n'avais, Monsieur, à vous demander un second service, à vous qui avez déjà montré à mon égard tant d'intelligence et de dévouement. Je crois que vous avez plus ou moins fait la connaissance de mon mari. Vous devinez le reste: c'est que je ne voudrais pas demeurer tout à fait sans nouvelles de lui. N'est-ce pas là un désir bien naturel, quand même j'aurais juré de pas le revoir. Je ne vous demande pas une surveillance de tous les jours, pas même des détails trop intimes. Je serais heureuse seulement de savoir qu'il est heureux.
 
«Je voudrais que vous le fussiez également, Monsieur, que vous vous décidiez à faire oeuvre d'homme—et à ne plus m'écrire de lettres comme la dernière. Ne savez-vous pas que les sympathies ont leur secret qu'il faut respecter, au lieu de les traiter comme les enfants font des tulipes encore à demi-fermées, qui en ouvrent de force les pétales pour regarder plus avant, et ne trouvent au coeur qu'un peu de vide et de poussière? Ce sujet réservé, toutes les nouvelles que vous me donnerez de vous aussi seront les bienvenues, et quant aux questions matérielles, je vous prie de vous mettre en rapport avec mon notaire, Me Beaudésyme, à Ribamourt (Basses-Pyrénées), et de croire, Monsieur, etc.
 
«SYLVÈRE DE MARIOLLES.»
顶一下
(0)
0%
踩一下
(0)
0%

热门TAG: 法国文学 原版小说


------分隔线---------- ------------------