Cela fut sitôt fait, que vraiment le sorcier ne put se reconnaître. Le corps fut
jeté aux poissons du lac ; quant à la tête, après l’avoir plongée dans l’eau,
le compagnon l’enveloppa dans son foulard, l’emporta dans le cabaret, et
regagna son lit.
Le lendemain, il donna le foulard à Jean, et lui recommanda de ne pas
le dénouer jusqu’au moment où la princesse lui adresserait sa troisième
question.
Il y avait tant de monde dans la grande salle du château, que la foule était
serrée comme une botte de radis. Le conseil siégeait avec ses édredons, le
vieux roi s’était fait habiller de neuf ; la couronne d’or et le sceptre avaient
été polis ; mais la princesse était d’une extrême pâleur. Elle portait une robe
noire, comme si elle se fût apprêtée à suivre un enterrement.
« À quoi ai-je pensé ? » demanda-t-elle à Jean. Celui-ci dénoua le foulard,
et resta stupéfait lui-même à l’effroyable aspect de la tête du sorcier. Il y eut
un frisson général ; quant à la princesse, elle avait l’air d’une statue. Enfin
elle se leva, tendit la main à Jean, car il avait bien deviné, et, sans regarder
personne, elle soupira profondément.
« Maintenant, tu es mon seigneur ; ce soir, nous célébrerons la noce.
– À la bonne heure ! à la bonne heure ! » exclama le vieux roi.
Tout le monde cria hourra ! la musique militaire retentit dans les rues,
les cloches sonnèrent, les marchands de gâteaux ôtèrent le crêpe noir à leurs
porcs de sucre ; tout était joie ! Trois bœufs rôtis tout entiers, farcis de
canards et de poulets, furent servis au milieu du marché, et chacun eut le droit
d’en couper un morceau. Les vins les plus délicieux jaillirent des fontaines ;
quiconque achetait un pain d’un sou au boulanger reçut six grosses brioches
en sus. Et quelles brioches !