Le soir, toute la ville était illuminée ; les soldats tiraient le canon, les
gamins lançaient des pétards. Dans le château, on mangeait, on buvait, on
trinquait, on sautait ; tous les seigneurs et toutes les belles demoiselles se
mêlaient à la danse. De loin on les entendait chanter :
Tant de belles demoiselles
Dansent au son du tambour !
Jeune fille, c’est ton tour,
Ton tour d’user tes semelles.
Cependant la princesse était toujours sorcière ; elle n’aimait pas Jean.
Le compagnon de voyage ne l’avait pas oublié : c’est pourquoi il donna à
Jean trois plumes des ailes du cygne et une petite fiole contenant quelques
gouttes. Il lui conseilla de mettre auprès du lit nuptial un grand baquet rempli
d’eau, d’y jeter les plumes et les gouttes, et d’y plonger trois fois la princesse.
C’était le moyen de la désenchanter et de lui faire aimer Jean.
Jean suivit toutes les prescriptions de son compagnon. La princesse
poussa de grands cris lorsqu’il la plongea dans l’eau ; elle se débattit entre
ses mains, et prit la forme d’un cygne noir avec des yeux étincelants.
À la seconde immersion, le cygne devint blanc, sauf un anneau noir qui lui restait
autour du cou. Jean fit une prière au bon Dieu, et, quand l’oiseau revint pour
la troisième fois sur l’eau, c’était une princesse admirablement belle. Plus
que jamais elle était adorable, et, les larmes aux yeux, elle remercia Jean
d’avoir mis fin à son enchantement.
Le lendemain, le vieux roi vint la voir accompagné de toute sa cour : la
journée se passa en félicitations. Le compagnon de voyage arriva le dernier,
le bâton à la main et le sac sur le dos. Jean l’embrassa bien des fois : il ne
voulait pas laisser partir l’auteur de son bonheur ; mais le compagnon de
voyage secoua la tête, et dit avec un air doux et amical : « Non, mon temps
est fini ; je n’ai fait que payer ma dette. Te rappelles-tu le mort auquel deux
méchants hommes voulaient faire du mal ? Tu donnas tout ce que tu avais
pour lui assurer la paix de la tombe. C’est moi qui suis ce mort. »
Au même instant, il avait disparu.
La noce dura tout un mois. Jean et la princesse s’aimèrent tendrement ;
le vieux roi passa encore bien d’heureuses journées en faisant monter ses
petits-enfants à cheval sur ses genoux, leur abandonnant son sceptre pour
joujou.
Après sa mort, Jean lui succéda sur le trône.