« Pauvre petite ! répondit la vieille souris des champs, qui, au fond, avait
bon cœur, viens manger avec moi dans ma chambre ; il y fait chaud. »
Puis elle se prit d’affection pour Poucette, et ajouta :
« Je te permets de passer l’hiver ici ; mais à condition que tu tiennes ma
chambre bien propre, et que tu me racontes quelques jolies histoires ; je les
adore. »
La petite fille accepta cette offre et n’eut pas à s’en plaindre.
« Nous allons recevoir une visite, dit un jour la vieille souris ; mon voisin
a l’habitude de venir me voir une fois par semaine. Il est encore bien plus à
son aise que moi ; il a de grands salons et porte une magnifique pelisse de
velours. S’il voulait t’épouser, tu serais bien heureuse, car il n’y voit goutte.
Raconte-lui tes plus belles histoires. »
Mais Poucette n’avait pas trop envie d’épouser le voisin ; ce n’était
qu’une taupe. Couverte de sa pelisse de velours noir, elle ne tarda pas
à rendre sa visite. La conversation roula sur ses richesses et sur son
instruction ; mais la taupe parlait mal des fleurs et du soleil, car elle ne
les avait jamais vus. La petite Poucette lui chanta plusieurs chansons, entre
autres : « Hanneton, vole, vole, vole ! » et : « Quand le moine vient aux
champs. » La taupe, enchantée de sa belle voix, désira aussitôt une unio
qui lui promettait tant d’agréments ; mais elle n’en dit pas un mot, car c’était
une personne réfléchie.
Pour faire plaisir à ses voisines, elle leur permit de se promener à leur gré
dans une grande allée souterraine qu’elle venait de creuser entre les deux
habitations ; mais elle les pria de ne pas s’effrayer d’un oiseau mort qui se
trouvait sur le passage, et qu’on y avait enterré au commencement de l’hiver.
La première fois que ses voisines profitèrent de cette aimable offre, la
taupe les précéda dans ce long et sombre corridor, tenant entre ses dents un
morceau de vieux bois, brillant de phosphore, pour les éclairer. Arrivée à
l’endroit où gisait l’oiseau mort, elle enleva de son large museau une partie
de la terre du plafond, et fit ainsi un trou par lequel la lumière pénétra. Au
milieu du corridor s’étendait par terre le corps d’une hirondelle, sans doute
morte de faim, dont les ailes étaient serrées aux côtés, la tête et les pieds
cachés sous les plumes. Ce spectacle fit bien mal à la petite Poucette ; elle
aimait tant les petits oiseaux qui, pendant tout l’été, l’avaient égayée de leurs
chants ! Mais la taupe poussa l’hirondelle de ses pattes et dit : « Elle ne
sifflera plus ! quel malheur que de naître oiseau ! Dieu merci, aucun de mes
enfants ne subira un sort aussi malheureux. Une telle créature n’a pour toute
fortune que son : Quivit ! quivit ! et l’hiver elle meurt de faim.
– Vous parlez sagement ! répondit la vieille souris ; le quivit ! ne rapporte
rien ; c’est juste ce qu’il faut pour périr dans la misère : cependant il y en a
qui se pavanent d’orgueil de savoir chanter. »