Et il se mit immédiatement en devoir de conduire le loup par une foule
de détours et de sentiers jusque dans la cave annoncée.
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Ainsi que le renard l’avait prédit, jambon et lard se trouvaient là en
abondance. Le loup fut bientôt à l’œuvre :
– Rien ne nous presse, dit-il, donnons-nous-en donc tout à notre aise !
Maître renard se garda bien d’interrompre son compagnon dans ses
fonctions gloutonnes : mais quant à lui, il eut toujours l’œil et l’oreille au
guet ; de plus, chaque fois qu’il avait avalé un morceau, il s’empressait
de courir à la lucarne par laquelle ils avaient pénétré dans la cave, afin de
prendre la mesure de son ventre.
Étonné de ce manège, le loup lui dit entre deux coups de dents.
– Ami renard, explique-moi donc pourquoi tu perds ainsi ton temps à
courir de droite à gauche, puis à passer et à repasser par ce trou ?
– C’est pour m’assurer que personne ne vient, reprit le rusé renard. Que
votre seigneurie prenne seulement garde de se donner une indigestion.
– Je ne sortirai d’ici, répliqua le loup, que lorsqu’il ne restera plus rien
dans le tonneau.
Dans l’intervalle, arriva le paysan, attiré par le bruit que faisaient les
bonds du renard. Ce dernier n’eut pas plutôt aperçu notre homme, qu’en un
saut il fut hors de la cave ; sa seigneurie le loup voulut le suivre, mais par
malheur, il avait tant mangé que son ventre ne put passer par la lucarne, et
qu’il y resta suspendu. Le paysan eut donc tout le temps d’aller chercher une
fourche dont il perça le pauvre loup.
Sans sa gloutonnerie, se dit le renard, en riant dans sa barbe, je ne serais
pas encore débarrassé de cet importun compagnon.