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LA PORTE ÉTROITE(31)

时间:2025-09-17来源:互联网 进入法语论坛
核心提示:Journal dAlissaAigues-Vives.Avant-hier, dpart du Havre; hier, arriveNmes; mon premier voyage! Nayantaucun souci du mnage
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Journal d’Alissa

Aigues-Vives.

Avant-hier, départ du Havre ; hier, arrivée à Nîmes ; mon premier voyage ! N’ayant

aucun souci du ménage ni de la cuisine, dans le léger désœuvrement qui s’ensuit, ce 23 mai

188., jour anniversaire de mes vingt- cinq ans, je commence un journal – sans grand

amusement, un peu pour me tenir compagnie ; car, pour la première fois de ma vie peut-

être, je me sens seule – sur une terre différente, étrangère presque, et avec qui je n’ai pas

encore lié connaissance. Ce qu’elle a à me dire est sans doute pareil à ce que me racontait

la Normandie, et que j’écoute infatigablement à Fongueusemare – car Dieu n’est différent

de soi nulle part – mais elle parle, cette terre méridionale, une langue que je n’ai pas encore

apprise et que j’écoute avec étonnement.

24 mai.

Juliette sommeille sur une chaise longue près de moi – dans la galerie ouverte qui fait le

charme de cette maison à l’italienne, de plain-pied avec la cour sablée qui continue le

jardin… Juliette, sans quitter sa chaise longue, peut voir la pelouse se vallonner jusqu’à la

pièce d’eau où s’ébat un peuple de canards bariolés et où naviguent deux cygnes. Un

ruisseau que ne tarit, dit-on, aucun été l’alimente, puis fuit à travers le jardin qui devient

bosquet toujours plus sauvage, resserré de plus en plus entre la garrigue sèche et les

vignobles, et bientôt complètement étranglé.

… Édouard Teissières a fait visiter hier, à mon père, le jardin, la ferme, les celliers, les

vignobles, pendant que je restais auprès de Juliette, – de sorte que ce matin, de très bonne

heure, j’ai pu faire, seule, ma première promenade de découverte dans le parc. Beaucoup

de plantes et d’arbres inconnus dont pourtant j’aurais voulu savoir le nom. De chacun

d’eux je cueille une ramille pour me les faire nommer, au déjeuner. Je reconnais en ceux-ci

les chênes verts qu’admirait Jérôme à la villa Borghèse ou Doria-Pamphili… si lointains

parents de nos arbres du nord – d’expression si différente ; ils abritent, presque à

l’extrémité du parc, une clairière étroite, mystérieuse et se penchent au-dessus d’un gazon

doux aux pieds, invitant le chœur des nymphes. Je m’étonne, m’effarouche presque de ce

qu’ici mon sentiment de la nature, si profondément chrétien à Fongueusemare, malgré moi

devienne un peu mythologique. Pourtant elle était encore religieuse la sorte de crainte qui

de plus en plus m’oppressait. Je murmurais ces mots : hic nemus. L’air était cristallin : il

faisait un silence étrange. Je songeais à Orphée, à Armide, lorsque tout à coup un chant

d’oiseau, unique, s’est élevé, si près de moi, si pathétique, si pur qu’il me sembla soudain

que toute la nature l’attendait. Mon cœur battait très fort ; je suis restée un instant appuyée

contre un arbre, puis suis rentrée avant que personne encore ne fût levé.

26 mai.

Toujours sans nouvelles de Jérôme. Quand il m’aurait écrit au Havre, sa lettre m’aurait

été renvoyée… Je ne puis confier qu’à ce cahier mon inquiétude ; ni la course d’hier aux

Baux, ni la prière, depuis trois jours, n’ont pu m’en distraire un instant. Aujourd’hui, je ne

peux écrire rien d’autre : l’étrange mélancolie dont je souffre depuis mon arrivée à Aigues-

Vives n’a peut-être pas d’autre cause ; – pourtant je la sens à une telle profondeur en moi-

même qu’il me semble maintenant qu’elle était là depuis longtemps et que la joie dont je

me disais fière ne faisait que la recouvrir.

27 mai.

Pourquoi me mentirais-je à moi-même ? C’est par un raisonnement que je me réjouis

du bonheur de Juliette. Ce bonheur que j’ai tant souhaité, jusqu’à offrir de lui sacrifier mon

bonheur, je souffre de le voir obtenu sans peine, et différent de ce qu’elle et moi nous

imaginions qu’il dût être. Que cela est compliqué ! Si… je discerne bien qu’un affreux

retour d’égoïsme s’offense de ce qu’elle ait trouvé son bonheur ailleurs que dans mon

sacrifice – qu’elle n’ait pas eu besoin de mon sacrifice pour être heureuse.

Et je me demande à présent, à sentir quelle inquiétude me cause le silence de Jérôme :

ce sacrifice était-il réellement consommé dans mon cœur ? Je suis comme humiliée que

Dieu ne l’exige plus de moi. N’en étais-je donc point capable ?

28 mai.

Combien cette analyse de ma tristesse est dangereuse ! Déjà je m’attache à ce cahier.

La coquetterie, que je croyais vaincue, reprendrait-elle ici ses droits ? Non ; que ce journal

ne soit pas le complaisant miroir devant lequel mon âme s’apprête ! Ce n’est pas par

désœuvrement, comme je le croyais d’abord, que j’écris, mais par tristesse. La tristesse est

un état de péché, que je ne connaissais plus, que je hais, dont je veux décompliquer mon

âme. Ce cahier doit m’aider à réobtenir en moi le bonheur.

La tristesse est une complication. Jamais je ne cherchais à analyser mon bonheur.

À Fongueusemare j’étais bien seule aussi, plus seule encore… pourquoi donc ne le

sentais-je pas ? Et quand Jérôme m’écrivait d’Italie, j’acceptais qu’il vît sans moi, qu’il

vécût sans moi, je le suivais par la pensée et faisais de sa joie la mienne. Je l’appelle à

présent malgré moi ; sans lui tout ce que je vois de neuf m’importune…

10 juin.

Longue interruption de ce journal à peine commencé ; naissance de la petite Lise ;

longues veillées auprès de Juliette ; tout ce que je peux écrire à Jérôme, je n’ai nul plaisir à

l’écrire ici. Je voudrais me garder de cet insupportable défaut commun à tant de femmes :

le trop écrire. Considérer ce cahier comme un instrument de perfectionnement.

Suivaient plusieurs pages de notes prises au cours de lectures, passages copiés, etc.

Puis, datée de Fongueusemare de nouveau :

16 juillet.

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