«À quoi sont destinés ces éléphants, ces armes, cet attirail de guerre et ces vaisseaux tout prêts à mettre à la voile?» demandait au roi Pyrrhus un sage confident, conseiller très prudent d'un monarque qui ne le fut guère. «Je pars, lui répondit le prince, pour Rome, où je suis appelé.--Qu'allez-vous y faire?--Assiéger la ville.--Le projet est admirable et digne seulement d'Alexandre ou de vous. Mais une fois Rome prise, seigneur, où irons-nous?--La conquête du reste des Latins est chose aisée.--Sans doute, on peut les vaincre. Et ensuite qui voulez-vous attaquer?--Les ports de la Sicile sont tout proches, et bientôt nos vaisseaux mouilleront devant Syracuse.--Et après?--Maîtres de cette ville, nous partons aussitôt pour Carthage, et nous nous en emparerons. La route est libre; qui est-ce qui peut nous arrêter?--Seigneur, je vous comprends: nous allons tout dompter. Nous allons traverser les déserts de Libye, asservir en passant l'Égypte et l'Arabie, passer le Gange, soumettre des pays inconnus, faire trembler les Scythes sur les bords du Tanaïs, et ranger sous nos lois toute une moitié du monde. Mais enfin, quand nous serons de retour, vous ne saurez plus que faire?--Oh! alors, mon cher Cinéas, victorieux et satisfaits, nous pourrons rire tout à notre aise et prendre du bon temps.--Eh! seigneur, dès aujourd'hui, sans sortir de votre royaume, qui nous empêche de rire du matin au soir?»