Là-dessus ils s’endormirent tous.
Le lendemain, en s’éveillant, le prince ne fut pas peu surpris de se trouver
au milieu des nuages ; le Vent d’Est le portait fidèlement sur ses épaules.
Ils montèrent si haut, que les forêts, les champs, les fleuves et les lacs ne
semblaient plus à leurs yeux qu’une grande carte géographique coloriée.
« Bonjour, dit le Vent d’Est ; tu aurais bien pu dormir encore un peu,
car il n’y a pas grand-chose à voir dans le pays plat au-dessous de nous,
à moins que tu n’aies envie de compter les églises, qui ressemblent à des
points blancs sur un tapis vert. »
C’est ainsi qu’il appelait les champs et les prairies.
« Je suis bien contrarié, dit le prince, de n’avoir pas fait mes adieux à ta
mère et à tes frères.
– Le sommeil t’excuse, » répondit le Vent d’Est en accélérant son vol.
Les branches et les feuilles bruissaient sur la cime des arbres partout où ils
passaient ; la mer et les lacs s’agitaient, les vagues s’élevaient, et les grands
vaisseaux, semblables à des cygnes, s’inclinaient profondément dans l’eau.
À l’approche de la nuit, les grandes villes prirent un aspect bien curieux ;
les lumières brillaient çà et là, pareilles aux étincelles qui courent encore
autour d’un morceau de papier brûlé. Le prince, au comble de la joie, battait
des mains ; mais le Vent d’Est le pria de se tenir tranquille, sans quoi il
risquerait de tomber et de rester accroché à la pointe d’un clocher.
L’aigle vole facilement au-dessus des forêts noires, mais le Vent d’Est
volait encore avec plus de légèreté. Le Cosaque sur son petit cheval agile
dévore l’espace, mais le prince galopait encore plus vite.
« Maintenant tu peux voir l’Himalaya, dit le Vent d’Est, la plus haute
montagne de l’Asie. Bientôt nous serons arrivés au jardin du Paradis. »
Ils tournèrent leur vol du côté du Midi, et bientôt le parfum des épices
et des fleurs monta jusqu’à eux. Le figuier et le grenadier poussaient d’euxmêmes,
et la vigne sauvage portait des grappes bleues et rouges. Nos deux
voyageurs descendirent et se couchèrent sur le gazon moelleux où les fleurs
saluaient le Vent comme pour lui dire : « Sois le bienvenu. »
« Sommes-nous dans le jardin du Paradis ? demanda le prince.
– Pas encore ; mais bientôt nous serons rendus. Vois-tu cette muraille
de rochers et cette grande caverne devant laquelle les branches de vigne
forment des rideaux verts ? Il nous faudra passer par là. Enveloppe-toi bien
dans ton manteau ; car ici le soleil brûle, mais quelques pas plus loin il fait
un froid glacial. L’oiseau qui garde l’entrée de la grotte reçoit sur une de ses
ailes, étendue en dehors, les chauds rayons de l’été, et sur l’autre, déployée
en dedans, le souffle froid de l’hiver. »