【法语故事】L’Ombre (1)
C’est terrible, comme le soleil brûle dans les pays chauds ! Les gens y
deviennent bruns comme de l’acajou, et, dans les plus chauds, noirs comme
des nègres. Un savant était arrivé de son pays froid dans un de ces pays
chauds, où il pensait pouvoir se promener comme chez lui ; mais bientôt
il fut persuadé du contraire. Comme les gens raisonnables, il fut obligé de
s’enfermer toute la journée chez lui ; la maison avait l’air de dormir ou
d’être abandonnée. Du matin jusqu’au soir, le soleil brillait entre les hautes
maisons, le long de la petite rue où il restait. En vérité, c’était insupportable.
Le savant des pays froids, qui était jeune encore, se croyait dans une
fournaise ardente ; il maigrit de plus en plus, et son ombre se rétrécit
considérablement. Le soleil lui portait préjudice. Il ne revenait véritablement
à la vie qu’après le coucher du soleil.
Que d’agréments alors ! Dès qu’on allumait la bougie dans la chambre,
l’Ombre s’étendait sur tout le mur, même sur une partie du plafond ; elle
s’étendait le plus possible, pour reprendre ses forces.
Le savant, de son côté, sortait sur le balcon pour s’y étendre, et à mesure
que les étoiles apparaissaient sur le beau ciel, il se sentait peu à peu revivre.
Bientôt il se montrait du monde sur chaque balcon de la rue : dans les pays
chauds, chaque fenêtre a un balcon, car il faut de l’air même aux gens de
couleur acajou. Comme tout s’animait alors ! Les cordonniers, les tailleurs,
tout le monde se répandait dans la rue. On y voyait des tables, des chaises, et
mille lumières. L’un parlait, l’autre chantait ; on se promenait ; les voitures
roulaient, les ânes passaient en faisant retentir leurs sonnettes, un mort était
porté en terre au bruit des chants sacrés, les gamins lançaient des pétards,
les cloches des églises carillonnaient ; en un mot, la rue était bien animée.
Une seule maison, celle qui se trouvait en face du savant, ne donnait
aucun signe de vie. Cependant quelqu’un y demeurait, car des fleurs
admirables s’épanouissaient sur le balcon, et pour cela il fallait absolument
que quelqu’un les arrosât. Aussi, le soir la porte s’ouvrait, mais il y faisait
noir ; une douce musique sortait de l’intérieur. Le savant trouvait cette
musique sans pareille, mais peut-être était-ce un effet de son imagination :
car il eût trouvé toute chose sans pareille dans les pays chauds, si le soleil
n’y eût brillé toujours. Son propriétaire lui dit qu’il ignorait absolument le
nom et l’état du locataire d’en face ; on ne voyait jamais personne dans
cette maison, et, quant à la musique, il la déclarait horriblement ennuyeuse.