Chacune des princesses avait dans le jardin son petit terrain, qu’elle
pouvait cultiver selon son bon plaisir. L’une lui donnait la forme d’une
baleine, l’autre celle d’une sirène ; mais la plus jeune fit le sien rond comme
le soleil, et n’y planta que des fleurs rouges comme lui. C’était une enfant
bizarre, silencieuse et réfléchie. Lorsque ses sœurs jouaient avec différents
objets provenant des bâtiments naufragés, elle s’amusait à parer une jolie
statuette de marbre blanc, représentant un charmant petit garçon, placée sous
un saule pleureur magnifique, couleur de rose, qui la couvrait d’une ombre
violette. Son plus grand plaisir consistait à écouter des récits sur le monde
où vivent les hommes. Toujours elle priait sa vieille grand-mère de lui parler
des vaisseaux, des villes, des hommes et des animaux.
Elle s’étonnait surtout que sur la terre les fleurs exhalassent un parfum
qu’elles n’ont pas sous les eaux de la mer, et que les forêts y fussent
vertes. Elle ne pouvait pas s’imaginer comment les poissons chantaient et
sautillaient sur les arbres.
La grand-mère appelait les petits oiseaux des poissons ; sans quoi elle ne
se serait pas fait comprendre.
« Lorsque vous aurez quinze ans, dit la grand-mère, je vous donnerai
la permission de monter à la surface de la mer et de vous asseoir au clair
de la lune sur des rochers, pour voir passer les grands vaisseaux et faire
connaissance avec les forêts et les villes. »
L’année suivante, l’aînée des sœurs allait atteindre sa quinzième année,
et comme il n’y avait qu’une année de différence entre chaque sœur, la plus
jeune devait encore attendre cinq ans pour sortir du fond de la mer. Mais
l’une promettait toujours à l’autre de lui faire le récit des merveilles qu’elle
aurait vues à sa première sortie ; car leur grand-mère ne parlait jamais assez,
et il y avait tant de choses qu’elles brûlaient de savoir !
La plus curieuse, c’était certes la plus jeune ; souvent, la nuit, elle se tenait
auprès de la fenêtre ouverte, cherchant à percer de ses regards l’épaisseur
de l’eau bleue que les poissons battaient de leurs nageoires et de leur queue.
Elle aperçut en effet la lune et les étoiles, mais elles lui paraissaient toutes
pâles et considérablement grossies par l’eau.
Lorsque quelque nuage noir les voilait, elle savait que c’était une baleine
ou un navire chargé d’hommes qui nageait au-dessus d’elle. Certes, ces
hommes ne pensaient pas qu’une charmante petite sirène étendait audessous d’eux
ses mains blanches vers la carène.
Le jour vint où la princesse aînée atteignit sa quinzième année, et elle
monta à la surface de la mer.