enchantée de toutes les nouvelles choses qu’elle apercevait ; mais, une fois
grandie, lorsqu’elle pouvait monter à loisir le charme disparaissait, et elle
disait au bout d’un mois qu’en bas tout était bien plus gentil, et que rien ne
valait son chez-soi.
Souvent, le soir, les cinq sœurs, se tenant par le bras, montaient ainsi
à la surface de l’eau. Elles avaient des voix enchanteresses comme nulle
créature humaine et, si par hasard quelque orage leur faisait croire qu’un
navire allait sombrer, elles nageaient devant lui et entonnaient des chants
magnifiques sur la beauté du fond de la mer, invitant les marins à leur rendre
visite. Mais ceux-ci ne pouvaient comprendre les paroles des sirènes, et
ils ne virent jamais les magnificences qu’elles célébraient ; car, aussitôt le
navire englouti, les hommes se noyaient, et leurs cadavres seuls arrivaient
au château du roi de la mer.
Pendant l’absence de ses cinq sœurs, la plus jeune, restée seule auprès de
la fenêtre, les suivait du regard et avait envie de pleurer. Mais une sirène n’a
point de larmes, et son cœur en souffre davantage.
« Oh ! si j’avais quinze ans ! disait-elle, je sens déjà combien j’aimerais
le monde d’en haut et les hommes qui l’habitent. »
Le jour vint où elle eut quinze ans.
« Tu vas partir, lui dit sa grand-mère, la vieille reine douairière : viens
que je fasse ta toilette comme à tes sœurs. »
Et elle posa sur ses cheveux une couronne de lis blancs dont chaque
feuille était la moitié d’une perle ; puis elle fit attacher à la queue de la
princesse huit grandes huîtres pour désigner son rang élevé.
« Comme elles me font mal ! dit la petite sirène.
– Si l’on veut être bien habillée, il faut souffrir un peu, » répliqua la vieille
reine.
Cependant la jeune fille aurait volontiers rejeté tout ce luxe et la lourde
couronne qui pesait sur sa tête. Les fleurs rouges de son jardin lui allaient
beaucoup mieux ; mais elle n’osa pas faire d’observations,
« Adieu ! » dit-elle ; et, légère comme une bulle de savon, elle traversa
l’eau.