de ses sœurs, qui le raconta aussitôt aux autres, mais à elles seules et à
quelques autres sirènes qui ne le répétèrent qu’à leurs amies intimes. Il se
trouva qu’une de ces dernières, ayant vu aussi la fête célébrée sur le vaisseau,
connaissait le prince et savait l’endroit où était situé son royaume.
« Viens, petite sœur, » dirent les autres princesses ; et, s’entrelaçant les
bras sur les épaules, elles s’élevèrent en file sur la mer devant le château
du prince.
Ce château était construit de pierres jaunes et luisantes ; de grands
escaliers de marbre conduisaient à l’intérieur et au jardin ; plusieurs dômes
dorés brillaient sur le toit, et entre les colonnes des galeries se trouvaient des
statues de marbre qui paraissaient vivantes. Les salles, magnifiques, étaient
ornées de rideaux et de tapis incomparables, et les murs couverts de grandes
peintures. Dans le grand salon, le soleil réchauffait, à travers un plafond de
cristal, les plantes les plus rares, qui poussaient dans un grand bassin audessous de plusieurs jets d’eau.
Dès lors, la petite sirène revint souvent à cet endroit ; la nuit comme
le jour ; elle s’approchait de la côte, et osait même s’asseoir sous le grand
balcon de marbre qui projetait son ombre bien avant sur les eaux. De là, elle
voyait au clair de la lune le jeune prince, qui se croyait seul ; souvent, au
son de la musique, il passa devant elle dans un riche bateau pavoisé, et ceux
qui apercevaient son voile blanc dans les roseaux verts la prenaient pour un
cygne ouvrant ses ailes.
Elle entendait aussi les pêcheurs dire beaucoup de bien du jeune prince,
et alors elle se réjouissait de lui avoir sauvé la vie, quoiqu’il l’ignorât
complètement. Son affection pour les hommes croissait de jour en jour, de
jour en jour aussi elle désirait davantage s’élever jusqu’à eux. Leur monde
lui semblait bien plus vaste que le sien ; ils savaient franchir la mer avec des
navires, grimper sur les hautes montagnes au-delà des nues ; ils jouissaient
d’immenses forêts et de champs verdoyants. Ses sœurs ne pouvant satisfaire
toute sa curiosité, elle questionna sa vieille grand-mère, qui connaissait bien
le monde plus élevé, celui qu’elle appelait à juste titre les pays au-dessus
de la mer.
« Si les hommes ne se noient pas, demanda la jeune princesse, est-ce
qu’ils vivent éternellement ? Ne meurent-ils pas comme nous ?
– Sans doute, répondit la vieille, ils meurent, et leur existence est même
plus courte que la nôtre. Nous autres, nous vivons quelquefois trois cents
ans ; puis, cessant d’exister, nous nous transformons en écume, car au fond
de la mer ne se trouvent point de tombes pour recevoir les corps inanimés.