La petite sirène écarta le rideau de la tente, et elle vit la jeune femme
endormie, la tête appuyée sur la poitrine du prince. Elle s’approcha d’eux,
s’inclina, et déposa un baiser sur le front de celui qu’elle avait tant aimé.
Ensuite elle tourna ses regards vers l’aurore, qui luisait de plus en plus,
regarda alternativement le couteau tranchant et le prince qui prononçait en
rêvant le nom de son épouse, leva l’arme d’une main tremblante, et… la
lança loin dans les vagues. Là où tomba le couteau, des gouttes de sang
semblèrent rejaillir de l’eau. La sirène jeta encore un regard sur le prince, et
se précipita dans la mer, où elle sentit son corps se dissoudre en écume.
En ce moment, le soleil sortit des flots ; ses rayons doux et bienfaisants
tombaient sur l’écume froide, et la petite sirène ne se sentait pas morte ;
elle vit le soleil brillant, les nuages de pourpre, et au-dessus d’elle flottaient
mille créatures transparentes et célestes. Leurs voix formaient une mélodie
ravissante, mais si subtile, que nulle oreille humaine ne pouvait l’entendre,
comme nul œil humain ne pouvait voir ces créatures. L’enfant de la mer
s’aperçut qu’elle avait un corps semblable aux leurs, et qui se dégageait peu
à peu de l’écume.
« Où suis-je ? demanda-t-elle avec une voix dont aucune musique ne peut
donner l’idée.
– Chez les filles de l’air, répondirent les autres. La sirène n’a point
d’âme immortelle, et elle ne peut en acquérir une que par l’amour d’un
homme ; sa vie éternelle dépend d’un pouvoir étranger. Comme la sirène,
les filles de l’air n’ont pas une âme immortelle, mais elles peuvent en gagner
une par leurs bonnes actions. Nous volons dans les pays chauds, où l’air
pestilentiel tue les hommes, pour y ramener la fraîcheur ; nous répandons
dans l’atmosphère le parfum des fleurs ; partout où nous passons, nous
apportons des secours et nous ramenons la santé. Lorsque nous avons fait
le bien pendant trois cents ans, nous recevons une âme immortelle, afin de
participer à l’éternelle félicité des hommes. Pauvre petite sirène, tu as fait
de tout ton cœur les mêmes efforts que nous ; comme nous tu as souffert, et,
sortie victorieuse de tes épreuves, tu t’es élevée jusqu’au monde des esprits
de l’air, où il ne dépend que de toi de gagner une âme immortelle par tes
bonnes actions. »
Et la petite sirène, élevant ses bras vers le ciel, versa des larmes pour
la première fois. Les accents de la gaieté se firent entendre de nouveau
sur le navire ; mais elle vit le prince et sa belle épouse regarder fixement
avec mélancolie l’écume bouillonnante, comme s’ils savaient qu’elle s’était
précipitée dans les flots. Invisible, elle embrassa la femme du prince, jeta un
sourire à l’époux, puis monta avec les autres enfants de l’air sur un nuage
rose qui s’éleva dans le ciel.