Ainsi se passa un jour après l’autre. Si le vent agitait les grandes haies de
roses plantées devant la maison, il leur soufflait : « Qu’y a-t-il au monde de
plus joli que vous ? » Mais les roses secouaient la tête et répondaient : « La
petite Élisa. » Le dimanche, lorsque la vieille était assise devant sa porte,
lisant son livre de prières, le vent tournait les feuilles et disait au livre : « Qui
peut être plus pieux que vous ? » Le livre de prières répondait : « La petite
Élisa ; » et lui, comme les roses, disait la vérité.
Ayant atteint l’âge de quinze ans, Élisa retourna au château. La reine,
voyant sa beauté, se mit fort en colère et conçut pour elle une haine terrible.
Elle aurait bien voulu la changer, comme ses frères, en cygne sauvage ; mais
elle ne l’osait pas encore ; car le roi avait grand désir de voir sa fille.
Le lendemain matin, la reine se rendit à la salle de bain, qui était construite
de marbre, ornée de coussins moelleux et de tapis magnifiques. Là, elle prit
trois crapauds, déposa un baiser sur chacun d’eux, et dit à l’un : « Placetoi sur la tête
d’Élisa lorsqu’elle viendra au bain, afin qu’elle devienne aussi
stupide que toi. » – Place-toi sur son front, dit-elle à l’autre, afin qu’elle
devienne aussi laide que toi, et que son père ne puisse la reconnaître. »
– Pose-toi sur son cœur, souffla-t-elle au troisième, et rends-la tellement
méchante, qu’elle en ait beaucoup de tourment. »
Ensuite elle jeta les crapauds dans l’eau claire, qui aussitôt devint
verdâtre, appela Élisa, la déshabilla et l’y plongea.
À l’instant même un des crapauds se plaça sur ses cheveux, l’autre sur son
front, et le troisième sur son cœur ; mais Élisa ne parut pas s’en apercevoir.
Lorsqu’elle se leva, trois fleurs rouges de pavot apparurent à la surface
de l’eau. Si les animaux n’avaient pas été venimeux et embrassés par la
sorcière, c’est en roses gracieuses qu’ils eussent été changés. Ils étaient
devenus fleurs en touchant la tête et le cœur de la jeune fille, car elle était
trop pieuse et trop innocente pour que la magie pût exercer sur elle aucune
influence.