volontiers la douleur pour sauver ses frères chéris. Elle écrasa ensuite chaque
tige d’ortie avec ses pieds nus, et en fit de la filasse verte.
Dès que le soleil fut couché, les frères arrivèrent. Ils eurent grand-peur
en retrouvant leur sœur tout à fait muette, et ils crurent d’abord que c’était
un nouveau sortilège de leur belle-mère. Mais en apercevant ses mains, ils
comprirent ce qu’elle faisait pour eux ; le plus jeune se mit à verser des
larmes sur elle, et, partout où tombèrent ses larmes, la douleur cessa et les
ampoules poules disparurent.
Élisa passa toute la nuit à travailler, ne voulant prendre aucun repos avant
d’avoir délivré ses frères.
Le lendemain, pendant l’absence des cygnes, elle resta dans sa solitude ;
cependant jamais les heures n’avaient coulé si vite pour elle. Bientôt une
tunique fut achevée, elle se mit à la seconde.
Au milieu de sa besogne, le son du cor se fit entendre dans les montagnes
et remplit la jeune fille de terreur. Comme ce bruit se rapprochait de plus
en plus, avec des aboiements de chiens, elle rentra promptement dans la
caverne, ramassa toutes les orties, en fit un paquet, et s’assit dessus pour
les cacher.
Un moment après, un gros chien sortit des broussailles, puis un autre, et
un autre encore. Ils disparurent en aboyant, et revinrent bientôt après ; au
bout de quelques minutes, tous les chasseurs arrivèrent, et le plus beau, qui
était le roi du pays, s’approcha d’Élisa. Jamais il n’avait vu une aussi jolie
fille.
« Comment es-tu venue ici, charmante enfant ? »
Élisa secoua la tête, car la vie de ses frères dépendait de son silence,
et cacha ses mains sous son tablier pour que le roi ne découvrît pas ses
souffrances.
« Viens avec moi, continua-t-il tu ne peux rester ici. Si tu es aussi bonne
que tu es belle, je t’habillerai de soie et de velours, je mettrai une couronne
d’or sur ta tête, et je te donnerai mon plus riche château pour résidence. »
Puis il la plaça sur son cheval. Elle pleurait et se tordait les mains, mais
le roi dit : « Je ne veux que ton bonheur ; un jour tu m’en sauras gré. » Il
partit à travers les montagnes, tenant la jeune fille devant lui, et suivi de tous
les autres chasseurs.